Quinze jours avant la première, alors que la troupe des danseurs (qui est allée travailler en février dernier dans la forêt de Zora, au Cameroun) est en répétition technique, et tandis qu’à la régie, on leur demande de « ne pas tout donner », nous, dans l’ombre, on est soufflée. La puissance de la scène avec « l’arbre géniteur » ! Les danseurs s’effacent derrière la célébration qu’ils racontent, la connexion avec la forêt.
« Combat de lianes », Par Zora Snake ©Marin Driguez / Agence VU’
On n’assiste plus à du divertissement, il se passe autre chose. Comment a fait Zora pour arriver là ? Sur la terrasse du National à répondre à nos questions…
« Combat de lianes », que dit le nom de votre spectacle ?
Ce titre a l’air abstrait alors qu’en réalité, ce sont les mots qu’on utilise tous les jours. Car, d’abord, pour moi, ce spectacle ne parle que de la vie !
Le projet est né dans mon rapport à mes ancêtres. Je suis né au village, dans la case de mes grands-parents face à la forêt. Une forêt qui est en train d’être pillée. J’avais envie de créer un projet autour des premiers peuples. Je voulais les mettre en relation avec l’histoire coloniale. Puisqu’on parle de mots, je reprends le mot « pygmée » par lequel ont été désignées les communautés Baka. Un mot placardé sur ses peuples premiers, en Afrique. Et pourtant, ce sont des communautés qui ont compris l’importance de la nature, c’étaient des écologistes il y a 5 000 ans. L’écologie n’a pas été inventée en Europe.
combat de lianes ©Marin Driguez / Agence VU’
Avec le mot « combat », je voulais enfin faire entendre leur colère, l’urgence aussi. Ils tentent de sauver la forêt, pendant qu’en face, une autre main dit « on doit protéger la nature », et la détruit en même temps.
Où est ce village où vous êtes né ?
À l’ouest du Cameroun chez le peuple Bamiléké qui a combattu contre la colonisation et pour l’octroi de l’indépendance. Je suis né dans cette communauté où la relation aux ancêtres est ancrée. Nous avons une cosmogonie sacrée, et une façon, aussi, de communier avec les ancêtres. Pour nous, les morts ne sont pas morts.
Maintenant, vous vous trouvez sur la terrasse du Théâtre National. À quel moment avez-vous décidé de quitter ce lieu de naissance ?
Je n’ai pas quitté cet endroit ! Il est la source de mes créations pour lesquelles je consulte mes ancêtres. Je ne suis pas seul. Les esprits de nos ancêtres travaillent pour nous, pour que le jour se lève…
guillement
Pour nous, les morts ne sont pas morts. »
Ce que je vous décris là, c’est ce qui me permet d’être avec vous au, National, ce qui m’a permis de continuer à traverser le monde, parce que… je suis un serpent cosmique (rires de Zora le « Snake »). Aujourd’hui je suis ici, j’étais au Canada il y a 2 mois, aux États-Unis il y a 2 ans. Mais je retourne toujours à la maison.
Quand vous devez remplir des fiches administratives, vous mettez quoi dans la case « profession » ? vous ne pouvez pas écrire « serpent cosmique »…
(Rires) Non. J’écris : « artiste ». C’est le premier mot, le plus important. Après « chorégraphe », « danseur ». Ma mère raconte que je lui donnais des petits coups de pied, de tête, de mains, je me déhanchais déjà dans son ventre !
Cela a été compliqué pour vous de quitter l’endroit d’où vous veniez pour arriver au Canada ou, ici, en Belgique ?
Bien sûr. La question du visa ! C’est une forme de néocolonialisme, C’est pour cela que j’avais écrit le projet Transfrontalier, (en 2020 au National, NdlR) qui avait fait 48 dates en Europe… Il y a un malentendu colonial à cet endroit. Vous avez remarqué que beaucoup de gens viennent en Afrique mais peu en partent ! Pour avoir ce visa, j’ai fait environ 1 000 tours à l’ambassade… Si on n’avait pas une équipe forte du côté de l’Europe pour nous soutenir, on ne pourrait pas franchir les frontières.
Au Cameroun, vous étiez déjà danseur ?
J’en avais assez de me produire dans les instituts français, j’étais dans un labyrinthe : sans issue. J’ai décidé d’aller affronter la rue. Avec toutes les difficultés de demande d’autorisation de manifestation… Parce que le Cameroun est un pays dur, le contexte politique, ce n’est pas du biberon !
Et Facebook était ma télévision. Je n’oublierai pas la première personne qui m’a invité dans son festival : Dieudonné Nyangouna, metteur en scène et dramaturge qui vit entre France et Congo. il lui a été interdit de rentrer dans son pays parce qu’il avait écrit une lettre à son président de la République pour dire il faut arrêter de massacrer la jeunesse congolaise.
Comment avez-vous appris ce métier de danseur ?
À 7 ans, je me souviens, avec ma mère, mes frères et sœurs on vivait dans Douala, la capitale économique, à Bepanda Voirie, un bidonville. Après l’école, je prenais une assiette et j’allais me poster devant les bars qui cassaient les tympans du quartier. Je dansais et cela créait un embouteillage !
Un jour, une amie de ma mère découvre que c’est moi qui crée la foule, du coup ma mère a pris la ceinture, … Voilà, j’étais jeune. Mais, un jour, et c’est ma mère qui raconte encore cette histoire, elle n’avait plus d’argent, elle a pris les sous que j’avais gagnés avec ma danse et est partie acheter le pétrole pour faire tourner son commerce.
Je me souviens, ado, on faisait des battles. Je gagnais déjà avec mes chorégraphies. Il y a toujours eu, chez moi, cette rage du surpassement.
- « Combat de lianes », Zora Snake, au Théâtre National, du 23 septembre au 4 octobre. Infos : www.theatrenational.be et aussi le 11 octobre, aux Écuries de Charleroi.
- À noter, le soir de la représentation, le public est invité à exprimer sa gratitude aux esprits par une offrande, quelle qu’elle soit. Tout sauf du périssable !