« Bonjour, liquidation prononcée. » C’est en ces termes, par un texto laconique de sa « patronne », qu’une salariée de Serfigroup dit avoir appris la mort économique de cette « pépite » niçoise pour laquelle elle a travaillé près de 30 ans de sa vie.
D’autres employés de cette société spécialisée dans l’aménagement hôtelier ont dû, quant à eux, harceler le greffe du tribunal de commerce pour avoir confirmation.
Le jugement est tombé mercredi. Scellant définitivement les inquiétudes du personnel. Dix-neuf salariés qui ne se faisaient, en réalité, plus guère d’illusions. Parce que cela fait « déjà deux mois » qu’ils ne sont « plus payés ».
« Le salaire de juin nous avait d’ailleurs été versé en trois fois, souffle Thierry. Et déjà l’année dernière, la paie de novembre était tombée… le 24 décembre! Vous parlez d’un cadeau! »
« Comment a-t-on pu en arriver là? »
Parce que, aussi, les salariés niçois de Sefigroup, ont vu, en juillet dernier, leurs collègues de la Sofams, dans la Vienne, se retrouver avant eux en redressement judiciaire.
Cette usine de confection située près de Poitiers fabriquait les meubles et équipements que Serfigroup vendait aux hôtels de France et de Navarre.
C’est en tout cas la synergie que voulait mettre en place Anne Saint-Léger lorsqu’elle a racheté, coup sur coup, les deux entités à la fin des années 2010. « Mais le Covid nous a fait très mal », plaide un de ses fils.
L’entreprise niçoise, fondée 20 ans plus tôt par un autodidacte, affichait pourtant un florissant chiffre d’affaires de plus de 11 millions d’euros lorsque cette femme d’affaires aux multiples casquettes l’a rachetée en 2017.
À peine quatre ans plus tard, l’activité a été divisée par deux et les comptes sont déjà dans le rouge. « Comment a-t-on pu en arriver là? », s’interrogent les employés.
La famille d’Anne Saint-Léger invoque le « contexte économique ». Mais certains salariés trouvent l’explication un peu courte.
Contexte économique ou errements financiers?
Ils n’hésitent pas à critiquer la « mauvaise gestion » de leur patronne qui aurait » dépensé des fortunes ». En « prenant des bureaux à la tour Montparnasse », en « employant ses propres fils comme prestataires » voire en « leur distribuant des cartes bancaires de l’entreprise ».
Réalité ou fantasme, comme l’affirme l’un des fils d’Anne Saint-Léger? Le liquidateur désigné par le tribunal de commerce devra faire la part entre fatalité économique et éventuels errements.
En attendant les salariés niçois qui se retrouvent sur le carreau pointent du doigt la myriade de sociétés – une vingtaine – constituées par Anne Saint-Léger. Une entrepreneuse touche à tout. Pour le meilleur… Et parfois aussi pour le pire. Une entreprise de domotique, du côté d’Orléans, a déjà connu le même sort que Serfigroup et la Sofams.
Juste avant de racheter ces deux entités, l’entrepreneuse avait d’ailleurs été épinglée par l’Autorité des marchés financiers qui, en 2017, lui avait interdit d’exercer toute activité de conseil en investissement financier pendant dix ans.
Sa reconversion dans l’aménagement hôtelier à Nice aura donc connu une fin douloureuse. Particulièrement pour les familles concernées.
« À cause de cette histoire je me suis retrouvé en garde à vue… »
« On se retrouve dans une situation terrible. Certains ont d’ores et déjà été interdits bancaires. D’autres ont dû arrêter de payer leur loyer parce qu’ils n’ont tout simplement plus d’argent. »
Thierry explique qu’il s’est même « retrouvé en garde à vue, au début de l’été, à cause de cette histoire ». « J’ai alors découvert que le leasing de la voiture de fonction que je conduisais, comme ceux de tous les véhicules de l’entreprise, n’était plus payé. La voiture avait du coup été déclarée volée. » C’est lui qui a dû la restituer à un huissier.
« Ces derniers mois il en passait un à trois par semaine au bureau », souffle une des salariées qui travaille au siège de Serigroup, sur les hauteurs de Nice, près de l’hôpital L’Archet.
Par habitude, certains d’entre eux s’y sont retrouvés, il y a quelques jours encore. « Mais je ne sais pas trop ce que l’on fait là », souffle Hakim, « 28 ans de boîte », qui pensait qu’il en serait ainsi « jusqu’à la retraite ».
« Ma mère a tout fait pour sauver Serfi »
« Ma mère a peut-être commis des erreurs mais elle a tout fait pour sauver Serfi », assure Yvan Derogis, l’un des deux fils d’Anne Saint-Léger. Au point peut-être d’y laisser une partie de sa santé.
C’est parce que la patronne de Serfigroup est tout simplement « dans l’incapacité de répondre » aux interrogations des salariés, que l’un des deux fils d’Anne Saint-Léger le fait à sa place.
Il dit avoir « pleinement conscience que la situation sociale au sein de l’entreprise est aujourd’hui très compliquée ». Reconnaît des retards de paiement sur les salaires. « La trésorerie était extrêmement tendue », explique-t-il.
Une situation économique qui selon lui a commencé à se dégrader avec la crise du Covid. En 2020, le chiffre d’affaires de l’entreprise est ainsi tombé à 2,5 millions d’euros. « À la baisse de l’activité s’est ajoutée des impayés de clients, pour près d’un million d’euros. »
Anne Saint-Léger n’aurait pas réussi à redresser la barre. « C’est un constat d’échec. » Yvan Derogis ne le nie pas. En revanche il balaye les accusations sur d’éventuels errements de gestion.
« Elle n’a jamais fraudé »
Lui et son frère ont bien fourni des services à Serfigroup. « Ça a peut-être donné l’image des enfants de la patronne qui profitaient de la boîte mais la vérité c’est que si on a accepté de travailler bénévolement pour Serfi c’est uniquement pour tenter d’aider notre mère. Je suis ingénieur, diplômé de l’École Centrale de Paris et mon frère a fait a fait Polytechnique. Nous ne manquions pas d’opportunités professionnelles. On a juste essayé d’apporter nos compétences pour aider notre mère. »
Anne de Saint-Léger ne s’est-elle pas aventuré dans domaines d’activité qu’elle ne maîtrisait pas? « Peut-être mais peut-on l’en blâmer pour autant? », retourne le fils.
L’Autorité des marchés financiers l’a néanmoins sanctionné par le passé, alors qu’elle gérait à l’époque une plateforme de financement participatif. « Tout n’était peut-être pas parfait sur le plan administratif mais elle n’a jamais fraudé », assure Yvan Derogis.