Titre : Kairos
Auteur : Jenny Erpenbeck
Littérature allemande
Titre original : Kairos
Traducteur : Rose Labourie
Editeur : Gallimard
Nombre de pages : 432
Date de parution : 28 août 2025
Le Dieu de l’instant propice
Katharina apprend la mort d’Hans, un homme qu’elle a rencontré à dix-neuf ans et qu’elle a profondément aimé. Mais elle n’ira pas à son enterrement. Par contre, elle reçoit deux cartons emplis de documents, de notes, de photos, de souvenirs qui jalonnent leur relation de 1986 à 1992. Alors, en suivant le contenu des cartons, elle se souvient et raconte son histoire.
Katharina, dix-neuf ans, rencontre Hans, un homme marié de trente-quatre ans son aîné, le 11 juillet 1986. C’est le coup de foudre. Et le couple fêtera cette rencontre tous les 11 du mois. Kairos les a réunis pour le meilleur et pour le pire.
Elle est très jeune, a peu connu d’hommes. Elle est peut-être à la recherche d’un père. Hans est un intellectuel, auteur d’un roman. Il est marié et entend bien le rester. Père d’un garçon de quatorze ans, il a eu de nombreuses maîtresses. On le comprend vite, leur relation est plutôt déséquilibrée.
Passion et perversité
Les deux amants vivent une grande passion. Et nous suivons l’enchevêtrement de leurs pensées et de leurs souvenirs.
Pourquoi un amour condamné au secret vous comble-t-il d’un bonheur encore plus grand qu’un amour dont il est permis de parler ?
Pourtant, assez vite, Hans profite de son ascendance, de son expérience pour imposer des relations sexuelles violentes. Certes, Katharina est consentante. Mais son amour inconditionnel et son jeune âge n’en fait-elle pas une proie ?
Et lorsqu’elle s’installe dans son propre appartement et qu’elle part ensuite à Francfort pour suivre une formation au théâtre, la jeune femme découvre autre chose.
Changer d’environnement peut faire apparaître de nouveaux visages chez les personnes que l’on croyait connaitre.
En janvier 1988, Katharina passe une nuit avec un collègue. Hans l’apprend et il devient exécrable. La jalousie de Hans et la culpabilité de Katharina transforment la passion en enfer.
Mais être honnête sans avoir la possibilité de dire non est impossible.
Le passé d’un pays et d’un homme
Si la première partie s’appesantit sur la relation amoureuse entre Hans et Katharina au détriment du contexte de l’Allemagne de l’Est, la seconde partie évoque davantage un parallèle entre le délitement d’une histoire d’amour et la chute du mur de Berlin.
Au fil du récit, l’auteur évoque le passé de Hans. Ses parents ont fui Riga puis la Pologne suite à l’invasion des Russes. En Allemagne, Hans faisait partie des jeunesses hitlériennes. En opposition au père, et par conviction communiste, Hans choisit de rejoindre la RDA.
Par contre, Katharina a toujours vécu à l’Est. Son voyage à l’ouest pour l’anniversaire de sa grand-mère lui fait découvrir l’abondance de la société de consommation. Après la chute du mur, son territoire est abandonné à la volonté de l’ouest. Il n’y a aucune harmonisation. La culture, le mode de fonctionnement de son pays sont abolis au profit du capitalisme.
Le Coca-Cola a réussi là où la philosophie marxiste a échoué : il a uni sous sa bannière les prolétaires de tous les pays.
Remise en perspective
Le roman de Jenny Erpenbeck interpelle. La relation amoureuse entre Hans et Katharina est particulièrement complexe. Y-a-t-il emprise d’un homme mûr sur une jeune femme de dix-neuf ans ? Cette emprise va-t-elle jusqu’au consentement de la jeune femme ?
Ce n’est qu’en compagnie de Hans qu’elle est entièrement elle-même.
Par moment, on pourrait trouver des excuses à Hans.
Maudite sois-tu pour avoir jeté notre miracle dans la boue.
Toutefois, je mets le conditionnel car j’ai détesté cet homme.
Finalement, l’épilogue surprend et remet ( ou pas) la lecture en perspective. Il faut revenir sur le temps linéaire pour juger de ce moment de l’instant propice.
Il n’y a pas de résurrection sans destruction préalable.
La notion de Kairos est complexe. Cela peut être une dimension du temps. Au moment où le dieu Kairos passe, on peut tendre la main et attraper sa touffe de cheveux ( le rencontre entre Hans et Katharina). En politique, c’est le moment qui engage le sort de la cité ( la chute du mur) . Dans le champ de la morale, le Kairos préserve de la démesure ( le moment où Katharina comprend la toxicité de sa relation ).
Ce roman suscite beaucoup d’interrogations et le membres de la lecture commune sur Instagram ont lancé un large débat . N’est-ce pas la marque qui fait que cette œuvre est réussie ?
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