Dans la petite bourgade japonaise d’Ebisugaoka, la vie de Shimizu Hinako est loin d’être un long fleuve tranquille. Fille d’un père violent et d’une mère apathique, Hinako trouve un peu de réconfort dans le club d’athlétisme et ses trois ami(e)s d’enfance : Shu, son ancien partenaire de jeu et grand dadais devant l’éternel, Sakuko, descendante d’une longue lignée de prêtres, et Rinko, déléguée de classe qui a l’habitude de materner ses proches. Mais tout empire quand une étrange brume surnaturelle s’engouffre dans les rues de la ville et qu’un étrange tapis de fleurs rouges dévore Sakuko devant les yeux hébétés d’Hinako… C’est le début d’un affreux périple qui va la mener aux quatre coins d’Ebisugaoka, mais aussi dans le versant spirituel de l’univers, ici représenté par des temples shintoïstes traditionnels.

Entre tradition et maternité

Silent Hill fAu risque d’enfoncer une porte ouverte, Silent Hill a toujours porté une attention particulière à ses figures féminines. D’Alyssa à Heather Mason en passant par Dahlia Gillespie, Cybil Bennett ou même Lisa dans la démo P.T., sans oublier les terrifiantes infirmières qui rôdent dans les couloirs de l’hôpital Brookhaven ou de l’abominable facsimilité de femme enceinte qui couronne Silent Hill : Homecoming, la franchise n’est pas exactement phallocentrée. Mais Silent Hill f est sans doute l’épisode qui s’attaque le plus frontalement, et le plus explicitement, à la condition sociale des femmes pour provoquer la peur, l’effroi et le dégoût. Ryukishi07 a délibérément choisi de placer son histoire dans les années 1960 pour correspondre à l’importante vague féministe de l’époque et saigner à vif les piliers de la société japonaise. Eh oui, il y a de la politique dans ce jeu vidéo.

Silent Hill fC’est précisément l’angle social qui permet à Ryukishi07 d’associer différentes esthétiques sans se prendre les pieds dans le tapis : dans son regard, la tradition religieuse shintoïste (ou, en tout cas, ses pratiques locales dévoyées) n’est qu’une facette de l’horrible machine populaire qui broie alors les femmes japonaises, au même titre que le modèle patriarcal – explicitement dénoncé en tant que tel – des familles ou la nécessité perçue de séparer petites filles et petits garçons avant de les accoler de force quand vient le temps du mariage. Silent Hill f livre d’ailleurs une vision nuancée du problème. S’il est évident que Shimizu Hinako est la première à souffrir, d’autres situations sont présentées, et Ryukishi07 soulève également les pressions rencontrées par les jeunes hommes dans ce contexte, s’attaquant bien à un système (trop) réaliste plutôt qu’à une vision manichéenne, réductrice, qui ne participerait finalement qu’à alimenter le problème.

Et si vous avez toujours pas compris après 8 heures de jeu, les paroles du thème principal sont traduites dans le générique.Et si vous avez toujours pas compris après 8 heures de jeu, les paroles du thème principal sont traduites dans le générique.

Silent Hill fDeux qualités majeures sous-tendent la vision du scénariste. D’une part, Ryukishi07 brosse une galerie de personnages resserrée mais très bien croquée, dont la personnalité simpliste au premier abord cache des dilemmes ou des peurs souvent plus retorses et insidieuses qu’on ne pourrait le croire. Shimizu Hinako, en particulier, apparaît d’abord détachée et résiliente avant de petit à petit dévoiler l’étendue de son malaise, approchant inexorablement du précipice (comme tous les meilleurs protagonistes de Silent Hill). D’autre part, si le génial dessinateur Masahiro Ito n’a pas contribué au projet, la relève est assurée avec l’artiste japonaise Kera, qui vient insuffler la touche de féminité nécessaire dans la conception avec une galerie de monstres extrêmement réussie. En particulier, Kera réussit avec brio son allégorie de femme enceinte, inévitable trope, avec une bête quadrupède couverte de ventres boursouflés comme autant de baudruches de chair prêts à exploser.

Brume des foins

Bon, tout ça, c’est très bien, mais est-ce que Silent Hill f est un bon jeu vidéo ? Après tout, le talent de Ryukishi07 et Kera était déjà avéré, mais le studio Neobards devait encore faire ses preuves après ses portages et projets de commande bateaux (Resident Evil Re:Verse par exemple). Miracle, Neobards arrive à transformer l’essai… mais pas à marquer le nombre maximal de points. Un soin particulier a été apporté aux combats, sans doute pour contrebalancer cette faiblesse notoire de la franchise, et Silent Hill f s’avère relativement plaisant de ce côté.

Silent Hill fAu-delà des simples attaques de base, Hinako peut se concentrer pour repérer les ouvertures dans les patterns ennemis et lancer une contre-attaque dévastatrice. Simple ? Pas tant ; les ennemis ont un comportement erratique qui demandent une vigilance constante, et maintenir la concentration épuise progressivement la santé mentale d’Hinako, ce qui devient rapidement un problème dans les modes plus difficiles. Une santé mentale vide signifie des contre-attaques beaucoup, beaucoup plus difficiles. Vous pouvez aussi charger une attaque spéciale qui va réduire votre santé mentale maximale (jusqu’aux prochains soins), et prendre des dégâts pendant la concentration diminue aussi la santé mentale maximale… Tout l’enjeu est alors d’utiliser la concentration à bon escient, quand on sent l’opportunité arriver, pour maximiser la fenêtre de contre et minimiser les risques. Mais il est souvent difficile d’être attentif dans le feu de l’action. Et alors, même un ennemi récurrent pourra causer des problèmes, surtout quand on ne se fait pas confiance et que l’on préfère esquiver dans la panique plutôt que contrer et profiter d’une ouverture.

Silent Hill fDans le monde réel, Hinako doit se débrouiller avec des armes fragiles et jauger leur durabilité tandis que dans le monde spirituel, les armes sont incassables, et le dernier tiers adopte même un tournant « action » plus assumé avec des mécaniques spéciales que nous nous garderons de divulgâcher, mais qui assurent un certain renouvellement bienvenu. Et c’est justement dans le monde spirituel que la majorité des (rares) boss croisent notre chemin. À ce titre, Silent Hill f propose certainement les meilleurs boss de la franchise en termes de game design ; on se surprend à apprécier l’affrontement en tant que tel, et pas forcément juste pour l’aspect anxiogène de la rencontre. D’un autre côté, la difficulté conseillée pour commencer l’aventure est un peu trop simple, notamment à cause d’une surabondance d’objets de soin qui trivialisent un peu les combats majeurs pour ceux qui explorent patiemment Ebisugaoka.

Apocalypse Bébé

Silent Hill fSi les combats de Silent Hill f sont plus agréables qu’à l’accoutumée, Neobards abuse sur la quantité dans le dernier tiers, jusqu’à saouler un peu avec des affrontements obligatoires dans la dernière ligne droite. Une sensation de remplissage s’installe. Quant aux puzzles, la difficulté standard n’est vraiment pas très intéressante. Il s’agit souvent d’une bête association de motifs à l’aide de textes peu subtils. Comme si Neobards s’était trop concentré sur la tatane et pas assez sur la réflexion. Cela ne gâche pas tellement l’aventure, mais on ne peut réprimer un sourire quand notre journal enregistre un « puzzle » qui consiste juste à aller effectuer le parcours suivant pour récupérer deux objets et les poser sur un autel…

Sur ce premier puzzle, il s'agit de reconnaître les symboles sur les offrandes et les mettre dans le bon panier. Et le niveau d'ingéniosité (du moins, en difficulté conseillée) ne décollera pas tellement plus haut.Sur ce premier puzzle, il s’agit de reconnaître les symboles sur les offrandes et les mettre dans le bon panier. Et le niveau d’ingéniosité (du moins, en difficulté conseillée) ne décollera pas tellement plus haut.

Silent Hill fPour mitiger l’omniprésence des objets de soin, Neobards a pensé à une mécanique intelligente : les offrandes. Plutôt que des feuilles de papier calque rouges, Silent Hill f nous demande de sauvegarder à des autels (même si la sauvegarde automatique s’avère très clémente sur nos morts diverses), et ces lieux de culte proposent également de verser des oboles à la divinité locale, Inari. S’il y a des reliques dédiées qui vont rapporter beaucoup de points de foi et ne servent à rien d’autre, beaucoup de pâtisseries, limonades et autres thés au kudzu sont aussi des objets de soin, et c’est à nous de juger s’il vaut mieux les échanger – et libérer de la place dans l’inventaire du même coup – ou les garder pour un prochain combat…

Ces points de foi peuvent être échangés contre une loterie d’accessoires aléatoires, mais aussi, si l’on a trouvé un ema (petit écriteau religieux en bois), contre des points de vie, d’endurance ou de santé mentale supplémentaires. Notre progression est donc conditionnée à l’exploration au peigne fin d’Ebisugaoka. Si Neobards a laissé quelques cadeaux bien en évidence, la majorité des ema et reliques à gros points de foi sont soigneusement planquées dans le décor, ce qui donne de l’intérêt à l’exploration qui, sinon, pourrait devenir un peu plate. En effet, le level design de Silent Hill f ne restera pas forcément dans les annales, surtout le premier tiers, qui met du temps à vraiment démarrer avant d’arriver au collège, où la structure commence à prendre vraiment ses marques et proposer des segments plus intéressants. De même, le monde spirituel est surtout composé de temples, et à vrai dire, c’est beaucoup, beaucoup moins marquant que l’univers dégradé des précédents Silent Hill.

C’est pas une boucle, c’est une spirale

Silent Hill fBien que Masahiro Ito n’ait pas été reconduit à la direction artistique, nous retrouvons le compositeur Akira Yamaoka à la musique, et le maestro n’a rien perdu de son talent. S’il s’adapte logiquement au cadre géographique de l’aventure pour inclure des instruments japonais, en particulier dans les temples et autels où les instruments traditionnels étreignent le décor, nous retrouvons son mélange caractéristique de guitare et d’entrechocs métalliques dans notre exploration d’Ebisugaoka. Il n’y a peut-être pas de thème instrumental aussi marquant que l’introduction de Silent Hill ou Mary’s Theme, mais la chanson d’ouverture et de fermeture est tout aussi réussie. Cette pseudo-comptine rappelle lointainement le mythique Go Tell Aunt Rhody repris dans Resident Evil 7, autre thème culte d’un portrait de la campagne déliquescente.

Silent Hill fDigital Foundry et autres analystes techniques nous avaient prévenus sur la démo de la Gamescom 2025, Silent Hill f ronronne très bien malgré l’utilisation de l’Unreal Engine 5. Car oui, envers et contre tout, Neobards livre peut-être le premier blockbuster sans stuttering de la génération (n’hésitez pas à fournir des exemples contradictoires en commentaires) sur le moteur d’Epic Games. De l’intérêt de prendre un studio de « faiseurs », peut-être. Globalement, si Silent Hill f ne risque pas de devenir le nouveau benchmark technique de notre art, Ebisugaoka est très joliment mise en valeur avec des maisons détaillées, des décors riches en caractère, des effets atmosphériques de bon aloi, des lumières bien gérées et des monstres aux animations dégoûtantes. Il y a certes l’esquive de Hinako qui est un peu bizarrement animée, mais pas de quoi déduire un point sur la note finale.

Le point PC de Kelma

Comment ? Un jeu sous Unreal Engine 5 sans stutters sur PC ?! Et pourtant, Silent Hill f est assez remarquable de ce côté-là, offrant un 30 FPS stable même face à plusieurs ennemis. Le 60 FPS n’a pas à rougir non plus de ses performances et le dernier-né de Konami s’avère être une bonne surprise sur notre fière machine équipée et d’un processeur AMD Ryzen 9 5900X et une carte graphique RTX 4090 Founder’s Edition. Sans Ray Tracing (ou équivalent) extrêmement gourmand, la meilleure configuration possible reste bien sûr d’avoir du 60 FPS avec les options graphiques poussées au maximum. Cependant, on aura tendance à vouloir sacrifier la qualité visuelle pour une meilleure fluidité d’image, d’autant plus lorsque l’on joue à la souris, ou les mouvements de caméra sont bien plus rapides qu’au joystick de manette et dont l’effet n’en sera que plus palpable.

Car en cascadeur de l’extrême que je suis, j’ai bien évidemment tâté Silent Hill f au combo clavier souris. Sans véritable surprise, notre spécificité française de l’AZERTY est boudée par cette version PC et si une réattribution des touches est disponible, la barre d’actions ne l’est pas à l’heure actuelle (remplacer le 1 par & par exemple), forçant vers une bascule sur le QWERTY quoi qu’il en soit. Cela étant dit, jouer au clavier souris n’est pas aussi désagréable qu’on l’avait imaginé, permettant une bonne réactivité, même si l’absence d’arme à feu et de besoin de viser justifie au final assez peu cette utilisation au profit d’une manette (qui aura d’ailleurs l’UI d’une manette Xbox en jeu, même en branchant une manette PlayStation). Notre seul vrai regret de ce côté-là reste l’impossibilité d’attribuer une touche pour aller dans notre inventaire. Devoir appuyer sur P, puis choisir notre inventaire depuis le menu avant de sélectionner l’onglet des objets est un processus bien trop fastidieux pour un périphérique avec autant de touches et donc de raccourcis à disposition.

Vient alors la question fatidique de tout Silent Hill qui se respecte : que valent les différentes fins ? Si la première conclusion est déjà très réussie, et arrive à livrer un joli retournement de situation subtilement amorcé dans les documents éparpillés alentours, Neobards encourage à relancer une partie en New Game Plus pour jouir de cinématiques altérées où toute l’histoire s’expose au grand jour. De quoi prendre un nouveau regard sur les tourments de Shimizu Hinako. Et sachez que si tâtonner dans le noir n’est pas votre péché mignon, Neobards affiche clairement les conditions requises pour atteindre chaque fin différente. Par contre, si vous aviez un peu de nostalgie pour le système de score à l’ancienne, vous pouvez vous brosser…