« La musique des couleurs » : le titre de l’exposition que la Philharmonie de Paris consacrera à Vassily Kandinsky à partir du 15 octobre illustre à merveille cette faculté dont il était probablement doté, la synesthésie, soit le pouvoir de l’esprit à tisser des correspondances entre les sens – et en l’occurrence, entre la vue et l’ouïe.

Ce don n’était toutefois chez Kandinsky qu’une faculté parmi d’autres. D’origine russe, l’artiste a aussi vécu en France et en Allemagne, s’imposant en Europe comme l’un des pionniers de l’art abstrait, qu’il a théorisé dans son célèbre essai Du spirituel dans l’art (1910). Pédagogue révolutionnaire à l’école du Bauhaus et artiste engagé, il est l’un des peintres incontournables de la modernité. Mais il recèle encore quelques secrets ; en voici six.

1. Il a tout plaqué pour vivre de son art

Vassily Kandinsky à Moscou vers 1890

Vassily Kandinsky à Moscou vers 1890

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© Photo studio R. Thiele / Heritage Images / Aurimages

Kandinsky a déjà 30 ans lorsqu’il s’abandonne pleinement à sa vocation artistique, en 1896. Il enseigne la jurisprudence, lorsqu’une chaire de professeur de droit lui est promise à l’Université de Moscou – une consécration académique à laquelle il renonce pour devenir peintre. Son émotion provoquée par la découverte des arts populaires de Vologda, des Meules de Claude Monet ou encore d’un opéra de Wagner en Russie l’en convainquent. L’artiste ressent aussi comme un choc en apprenant l’existence des électrons, découverts par Joseph John Thomson en 1897, qui remettent en cause l’indivisibilité de l’atome. Kandinsky rompt alors avec toute conception positiviste de la nature et gagne donc Munich, où il s’inscrit à l’atelier de Franz von Stuck.

2. Il a ouvert une école d’art accueillant les femmes à Munich

Gabriele Münter (au centre) dans la classe de peinture de Vassily Kandinsky à l’école de peinture « Phalanx » de Munich

Gabriele Münter (au centre) dans la classe de peinture de Vassily Kandinsky à l’école de peinture « Phalanx » de Munich, 1902

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Kandinsky ne renonce pas à l’enseignement pour autant. Bien avant d’être nommé premier directeur de l’Inkhouk de Moscou en 1917, puis de s’imposer comme ce professeur visionnaire, « maître des formes » au Bauhaus de Weimar en 1922, il fonde sa propre école d’art, dans le giron du groupe d’avant-garde munichois Phalanx, en 1902. L’un des piliers de l’enseignement du maître est le travail en plein air, qui justifie de longues excursions avec son groupe d’élèves. Fait exceptionnel pour l’époque, l’école accepte les femmes. Parmi elles, Gabriele Münter, qui deviendra sa compagne et partenaire. Redécouverte depuis quelques années et célébrée dans une récente exposition au musée d’Art moderne de Paris, c’est Münter qui a sensibilisé Kandinsky aux arts populaires européens et en particulier à la peinture sur verre.

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3. Il n’a pas réellement inventé l’abstraction

Vassily Kandinsky, Sans titre (première aquarelle abstraite)

Vassily Kandinsky, Sans titre (première aquarelle abstraite), 1910 (1913)

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Mine graphite, encre de Chine et aquarelle sur papier • 49,6 × 64,8 • Coll. centre Pompidou, Mnam, Paris

Des Delaunay à Carlo Carrà en passant par František KupkaKasimir Malevitch et Piet Mondrian, la course à l’invention de l’abstraction autour de 1912–1913 est effrénée ! En général, c’est finalement Kandinsky qui en est considéré comme le vainqueur. En cause : l’aquarelle-talisman Sans titre, que l’artiste a datée en 1910, ainsi que son magistral essai Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier. Or cette paternité est contestée : en réalité, l’aquarelle en question, esquisse probable de Composition VII, est à dater de 1913, et Du spirituel a été abondamment repris entre sa rédaction en 1909–1910 et sa publication en 1912. Depuis la redécouverte des grandes compositions abstraites de l’artiste spirite suédoise Hilma af Klint, réalisées à partir de 1906, le nom de Kandinsky fait de moins en moins le consensus. Toutefois, c’est là une vision occidentale, voire colonialiste de l’histoire de l’art puisque, comme le rappelait le critique G. Roger Denson dans le Huffpost en 2013, les artistes du Japon, du Mali et du Tibet n’ont pas attendu le XXe siècle pour travailler les formes non figuratives.

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4. Il est aussi l’auteur de plusieurs compositions pour la scène

Vassily Kandinsky, Impression III (Concert)

Vassily Kandinsky, Impression III (Concert), 1911

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Huile sur toile • 78,4 × 100,6 cm • Coll. Städtische Galerie im Lenbachhaus, Munich

« La couleur est le clavier. L’œil est le marteau, tandis que l’âme est un piano à plusieurs cordes. » La synesthésie, cette faculté de faire dialoguer les sens, n’est pas un vain mot pour Kandinsky. Mais loin de se restreindre à puiser dans la musique une inspiration pour sa peinture, l’auteur de Du spirituel dans l’art, proche du compositeur Arnold Schönberg, a voulu à sa manière s’attaquer à l’œuvre d’art totale. C’est dans cette optique qu’il écrit au tournant des années 1910, alors même qu’il rédige son fameux texte-manifeste, plusieurs compositions scéniques qui associent peinture, musique et danse : Sonorité jaune, Sonorité verte, Blanc et noir ou encore Violet. Quelques années plus tard, au Bauhaus de Dessau, Oskar Schlemmer s’inspirera de la théorie chromatique de Kandinsky pour composer son fameux Ballet triadique.

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5. Il a choisi de mourir français plutôt qu’américain

Vassily Kandinsky dans son appartement à Neuilly

Vassily Kandinsky dans son appartement à Neuilly, vers 1934

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À partir de ses 30 ans, Kandinsky s’éloigne de sa Russie natale, où son retour provoqué par l’espoir de la Révolution de 1917 ne survivra pas, trois ans plus tard, à la désillusion. Fidèle professeur au Bauhaus dès son arrivée en 1922 jusqu’à l’ultime déménagement à Berlin dix ans plus tard, il quitte ensuite une Allemagne nazie où son statut « d’artiste dégénéré », qui plus est slave et de gauche, sont une menace pour sa vie. Si Josef Albers l’invite à participer à la refondation d’un Bauhaus aux États-Unis deux ans plus tard, Kandinsky se refusera toujours, par conviction socialiste, à franchir l’Atlantique. Après 1933, il reste donc à Paris avec Nina Andreïevskaïa, et il est naturalisé français en 1939. Lorsque ses amis, tels Mondrian et Marcel Duchamp, partent à New York, lui reste en France malgré l’Occupation et y meurt quelques mois après la libération de Paris.

6. Sa veuve Nina a fait un legs exceptionnel de son œuvre au Centre Pompidou

Inauguration du « Salon Kandinsky » au Centre Georges-Pompidou en 1977, avec le directeur du musée Pontus Hultén et Nina Kandinsky

Inauguration du « Salon Kandinsky » au Centre Georges-Pompidou en 1977, avec le directeur du musée Pontus Hultén et Nina Kandinsky

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© akg-images / Marion Kalter

Vassily Kandinsky doit décidément beaucoup aux femmes ! Malgré leur forte animosité, Gabriele Münter conservera pieusement les œuvres de son ex-professeur et compagnon pour en faire don plus tard à la Lenbachhaus de Munich. Terrassée par la perte de son compagnon, avec qui elle avait traversé en 1920 l’épreuve de la perte d’un unique enfant, Nina Kandinsky va lui dédier la fin de sa vie. Elle honore sa mémoire en créant un prix Kandinsky de la peinture en 1946. C’est très certainement le legs impressionnant d’œuvres et d’archives de l’expressionniste, entré en 1981 dans les collections du Centre Pompidou, qui donne à Kandinsky cette aura si particulière en France. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la bibliothèque du Centre Pompidou destinée aux chercheurs s’appelle bibliothèque Kandinsky, ou « BK » pour les intimes…

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Kandinsky. La musique des couleurs

Du 15 octobre 2025 au 1 février 2026

philharmoniedeparis.fr