Une révolution
technologique vient de bouleverser notre compréhension de l’une des
migrations les plus spectaculaires de la planète. Des chercheurs
britanniques ont utilisé l’intelligence artificielle pour
recenser les gnous du Serengeti, et les résultats défient cinquante
années de certitudes scientifiques. Cette découverte soulève des
questions cruciales sur l’avenir de ces herbivores emblématiques et
remet en cause nos méthodes traditionnelles d’observation de la
faune sauvage.
Quand la
technologie révèle l’invisible
L’écosystème du
Serengeti-Mara a toujours été synonyme d’abondance. Chaque année,
plus d’un million de gnous étaient censés parcourir ces vastes
plaines d’Afrique de l’Est, accompagnés de zèbres et d’antilopes dans une
migration circulaire défiant l’imagination. Cette estimation,
stable depuis les années 1970, semblait gravée dans le marbre de la
science.
Pourtant, une équipe de
l’Université d’Oxford vient de remettre en question cette vérité
établie. Armés de satellites haute résolution et d’algorithmes
d’apprentissage profond, ces scientifiques ont entrepris le premier
recensement spatial complet de la région. Leur méthode ? Entraîner
deux puissants modèles d’intelligence artificielle sur plus de 70
000 images de gnous pour leur apprendre à reconnaître ces animaux
depuis l’espace.
Les satellites WorldView-2
et WorldView-3 ont scruté la réserve nationale du Masai Mara entre
août 2022 et août 2023, capturant chaque détail du paysage avec une
précision inégalée. L’IA a ensuite analysé ces clichés pixel par
pixel, identifiant et comptabilisant chaque gnou visible.
Un mystère
de grande ampleur
Les résultats, publiés
dans PNAS
Nexus, ont stupéfié la communauté scientifique.
L’intelligence artificielle n’a détecté qu’entre 324 000 et 533 000
gnous selon les années observées. Près de 700 000 animaux semblent
avoir disparu par rapport aux estimations traditionnelles. Cette
différence représente l’équivalent de la population totale de
certains pays européens transposée au règne animal.
Le Dr Isla Duporge,
auteure principale de l’étude, se montre catégorique : les données
GPS confirment que la majorité du troupeau se trouvait bien dans la
zone étudiée. Même en tenant compte des animaux dissimulés sous la
canopée, il paraît impossible qu’un demi-million de gnous ait
échappé à la détection satellitaire.
Cette énigme soulève trois
hypothèses principales. Soit la population s’est effectivement
effondrée récemment, soit les animaux ont radicalement modifié
leurs habitudes migratoires, soit les méthodes de comptage aérien
traditionnelles surestimaient considérablement leur nombre depuis
des décennies.
Crédit image : Tony SinclairLes forces
invisibles du changement
Les scientifiques
privilégient la piste des modifications comportementales. Le
Serengeti subit des transformations profondes qui perturbent les
routes ancestrales de ces nomades des savanes. L’expansion agricole
grignote progressivement leur territoire, tandis que routes et
clôtures fragmentent leurs corridors de migration.
Le changement climatique
constitue un facteur encore plus insidieux. Les régimes
pluviométriques saisonniers se modifient, décalant le calendrier
des pluies qui dictait traditionnellement les déplacements des
troupeaux. Les gnous, guidés par un instinct millénaire, doivent
désormais s’adapter à un environnement en mutation rapide.
Ces bouleversements
pourraient expliquer pourquoi une partie significative des
effectifs emprunte maintenant d’autres itinéraires, échappant ainsi
aux zones de surveillance traditionnelles.
Une
révolution pour la conservation
Au-delà du mystère des
gnous manquants, cette étude inaugure une nouvelle ère pour la
surveillance de la faune sauvage. La technologie satellitaire
couplée à l’intelligence artificielle offre des avantages
considérables sur les méthodes conventionnelles : précision accrue,
coût réduit, impact minimal sur les animaux observés.
Le professeur David
Macdonald, co-auteur de l’étude, y voit un potentiel
révolutionnaire. Cette approche pourrait transformer la
surveillance d’autres grandes espèces dans des environnements
reculés, fournissant aux conservationnistes des données cruciales
pour protéger la biodiversité mondiale.
Connaître précisément les
effectifs d’une espèce reste le fondement de toute stratégie de
conservation efficace. Avec cette nouvelle méthodologie, les
scientifiques disposent enfin d’un outil capable de percer les
secrets des vastes territoires sauvages, ouvrant la voie à une
protection plus éclairée de notre patrimoine naturel.