C’est la plus grande galerie d’exposition photographique de Paris : la place de la Concorde. En face de l’hôtel de la Marine, huit grands formats, des portraits grandeur nature, en imposent par leur simplicité et leur dénuement. Huit personnes âgées, de 77 à 90 ans, dans leur intérieur, affrontent le regard. C’est le projet Solitude augmentée de Sacha Goldberger, à voir jusqu’au 12 octobre.

On le reconnaît au premier coup d’œil quand il arrive place de la Concorde, orné de sa casquette Stetson, en gyroroue et sa fidèle chienne Rose à sa suite. Dans un éclat de rire, il annonce un « on ne se refait pas », tel un éternel adolescent qui a décidé de toujours s’amuser.

Lui, le photographe venu de la pub, a détourné les super-héros en version peinture flamande, sait se jouer des codes du cinéma hollywoodien ou s’inspirer de Hopper façon Tim Burton. Il n’hésite pas en 2023 à transformer le vénérable Pierre Richard en Clint Eastwood pour sa série Portraits croisés, exposée sur la promenade des Anglais à Nice.

Sa série la plus connue est Mamika. Sacha Goldberger a photographié pendant quinze ans sa grand-mère Frederika Goldberger, une survivante de la Seconde Guerre mondiale. Mais pas question de documenter la tristesse et l’effondrement que provoque l’âge qui inexorablement fissure le corps et l’esprit.

« Super Mamika » de Sacha Goldberger. (SACHA GOLDBERGER)

Le photographe transforme Federika en superhéroïne, en bikeuse, en noble flamande à collerette. Jusqu’à ses 96 ans, la grand-mère et le petit-fils fabriquent ces jeux de rôle hilarants et transforment la vieillesse en fous rires.

Sacha Goldberger nous confie que son nouveau projet, Solitude augmentée, n’est pas sans rappeler cette période quand il s’attaque avec l’association Petits Frères des pauvres à la solitude du troisième âge : « Il va falloir à un moment donné qu’on revienne aux contacts humains et moi, je suis assez bien placé pour parler de ça. Ma grand-mère est décédée maintenant, à 103 ans. J’avais installé mon bureau chez elle et on a passé quinze ans de notre vie, tous les jours à se parler, à ne pas se parler, mais en tout cas à être ensemble. »

Elles et ils sont donc huit. La maladie, le deuil, la fatigue ou l’ennui les ont éloignés des autres, de leur famille, des voisins et des amis. Avec la chaleureuse complicité des Petits Frères des pauvres, Sacha Goldberger les a rencontrés, photographiés et interrogés sur ce qui serait leur ami imaginaire. Celui qui peuple les longues heures de silence, celui avec qui ils dialoguent dans leurs appartements vides de toute autre présence, celui avec qui ils rêvent de déjeuner…

Pour Guy, ce sera Bruce Lee, idole de sa jeunesse. Pour Jeanne, Simone Veil pour papoter avec elle à l’heure du thé. Et pour Élodie en fauteuil roulant, ses amis seront Jésus et Marie pour une flânerie dans le quartier.

« Élodie » par Sacha Goldberger pour la série « Solitude augmentée ». (SACHA GOLDBERGER)

Sacha Goldberger avait une préoccupation, éviter le pathos de la vieillesse : « Le premier apport de cette exposition, je pense que c’est la joie, et le deuxième, c’est de se dire peut-être qu’il serait temps d’aller voir nos grands-parents, le monsieur d’à-côté qui est tout seul, le monsieur qui ne sort pas de chez lui. »

Il rajoute : « Je pense que pour faire passer des messages, il y a plusieurs façons. La première, c’est le catastrophisme. Ah là, là, c’est horrible. Regardez, elle est toute seule dans son ehpad et elle s’est fait pipi dessus. La deuxième, c’est l’humour et le décalage. » Le photographe a choisi le décalage.

Pour réaliser les vœux de ses huit solitaires, il a écouté, il a recueilli les mots, les rêves, les espoirs ou désespoirs. Il raconte cette émouvante expérience à franceinfo Culture : « En fait, tout le projet, c’est de les entendre, et puis de voir avec qui ils aimeraient passer du temps. Mais surtout, c’est aussi, après le côté ludique et le côté très humain des témoignages, de s’apercevoir que personne ne se regarde. »

Sacha Goldberger a fait appel à la haute technologie pour exaucer leurs vœux. Du récit, il a créé, en toute complicité avec l’IA, leurs amis imaginaires. Le photographe a ensuite peaufiné, intégré à l’image d’origine le travail de l’intelligence artificielle. Ce tour de magie virtuel est poétique et pour le visionner, un QR code accompagne la photographie.

« Lucille » par Sacha Goldberger. Série « Solitude augmentée ». (SACHA GOLDBERGER)

Ainsi, pour Lucille, 90 ans, un aigle royal apparaît à ses côtés. Émouvante confession, il enlèverait « tout ce que je ne fais pas de bon ». L’ami imaginaire est parfois un partenaire de divan. La technologie est au service du message.

Mais Sacha Goldberger tient à revenir à l’humain : « Il y a un truc très séduisant dans le virtuel et on s’aperçoit assez vite aussi que cela coupe du monde. Si vous vous baladez dans la rue, plus personne ne se regarde. Les gens, ils sont sur leur téléphone, dans le train, plus personne ne se regarde. Et moi, je pense que ça a été formidable et qu’il va falloir un moment donné qu’on revienne aux contacts humains. »

[À voir dans la vidéo qui suit]

Lucille de sacha Goldberger

Lucille de sacha Goldberger
(CHRISTOPHE AIRAUD/FRANCE TELEVISIONS)

1min

« Solitude Augmentée » – huit portraits d’hommes et de femmes par Sacha Goldberger pour les Petits Frères des pauvres dans le cadre de la biennale Photoclimat, jusqu’au 12 octobre sur la place de la Concorde (Paris).

À voir aussi « Daydreams » par le photographe Sacha Goldberger, jusqu’au 29 octobre à la Galerie XII (Paris IV).