Le groupe public France Télévisions est dans «une situation financière critique qui impose sans délai des réformes structurelles jusqu’ici ajournées», avertit la Cour des comptes dans un rapport publié ce mardi 23 septembre. «La dynamique des charges de personnel et de fonctionnement ainsi que le poids des investissements nécessaires notamment dans le numérique rendent aujourd’hui inéluctables» des changements dans le groupe présidé par Delphine Ernotte Cunci, juge la Cour, dix ans après un précédent contrôle.

L’institution de la rue Cambon ne pointe pas de responsable direct de la situation mais demande que l’Etat fixe à l’entreprise «une trajectoire financière réaliste», après des «orientations contradictoires» en 2023 et 2024. L’institution présidée par Pierre Moscovici préconise également que le grand accord social s’appliquant à l’entreprise soit renégocié «dans les meilleurs délais» – ce qui est prévu.

L’adoption d’un budget 2025 en déficit de 40 millions d’euros «confirme l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui la première entreprise de l’audiovisuel public», malgré des réformes depuis une décennie ayant «permis de dégager des marges de manœuvre significatives», insistent les «sages» de la rue Cambon.

Dans un courrier à la Cour consulté par l’AFP, la dirigeante de France Télé, Delphine Ernotte Cunci assure en retour que «France Télévisions souscrit à l’ensemble des recommandations formulées» et «travaille déjà à leur mise en œuvre».

La dotation publique annuelle à France Télé s’élève à quelque 2,5 milliards d’euros, et le groupe compte quelque 9 000 salariés (équivalent temps plein).

La publication de ce rapport intervient dans un moment où les inquiétudes sur la question financière sont vives au sein de la télévision publique, par ailleurs visée par un projet de réforme porté avec acharnement par la ministre de la Culture démissionnaire, Rachida Dati.

«Il était prévu» dans le projet de budget du gouvernement Bayrou «de nous demander un effort encore supplémentaire», «de l’ordre de 65 millions» en 2026, après 50 millions en 2025, a souligné vendredi Delphine Ernotte Cunci, lors d’un débat au Festival de la fiction de La Rochelle, espérant que le chiffre soit revu à la baisse «Tout y passe dans les lettres plafonds» – les documents transmis par Bercy sur lesquels s’appuie le projet de loi de finances – : «recul du financement des programmes de flux (hors création et information), du sport, des baisses d’effectifs, et aussi «une baisse extrêmement forte sur les engagements de création», a-t-elle ajouté.

Et la patronne de France Télé d’ajouter : «Le secteur n’a jamais vécu ce choc économique-là», alors même que l’audiovisuel public «depuis 2012 n’a pas vu varier ses financements» en euros constants et «a absorbé 25 % d’inflation».

Une baisse d’une soixantaine de millions d’euros en 2026, «ça veut dire 85 épisodes de 52 minutes, une quarantaine de soirées par an, ou, pour le résumer, une case de fiction en moins sur France Télévisions» donc «c’est vraiment très grave», a appuyé Iris Bucher, présidente du syndicat de producteurs Uspa.

Le président du régulateur de l’audiovisuel (Arcom), Martin Ajdari, a averti sur «les conséquences profondément délétères pour l’ensemble de l’écosystème» de ces coupes budgétaires, «à la fois trop brutales par leur soudaineté» et «par leur intensité». Même Rodolphe Belmer, patron du groupe privé rival TF1, s’est dit «très mobilisé sur ce sujet». France Télé finançant un tiers des programmes de fiction audiovisuelle, il y a un besoin d’«alimenter notre secteur, nos industries créatives».

Dans un entretien au Monde jeudi, Delphine Ernotte Cunci avait fait le lien entre financement et «indépendance de l’audiovisuel public». «Lorsque je discute avec mes collègues européens, les seuls qui comprennent vraiment la situation sont la Suède et l’Ukraine» où «Volodymyr Zelensky, qui manque de tout, n’a pas coupé les crédits de l’audiovisuel public», avait-elle relevé.