Après deux ans d’enquête, le parquet a décidé : la procédure pour harcèlement visant l’ancien chef de la neurochirurgie du CHU de Rennes et son successeur est classée sans suite. Elle avait été ouverte en 2023 suite à un premier signalement de la direction de Pontchaillou à la justice. Et, surtout, suite à une plainte de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI), nourrie de quatorze témoignages d’anciens du service ou de médecins toujours en poste.
Ils dénonçaient le quotidien vécu dans les murs de l’établissement, parfois pendant de longues années. Humiliations, brimades, charge de travail infernale… Certains évoquaient des pensées suicidaires liées à une ambiance délétère. Ils en faisaient porter la responsabilité au professeur Xavier Morandi, patron de l’équipe pendant plus de dix ans ainsi qu’à son bref successeur, Marco Corniola, également ciblé par l’enquête.
Un procès « aurait permis de tirer le vrai du faux »
« Je ne peux que constater que notre système judiciaire est encore peu sensible, si ce n’est indifférent, aux problèmes de harcèlement moral au travail », regrette le neurochirurgien Jean Lefebvre, l’un des plaignants, passé depuis dans le privé. « C’est dommage et cela protège ces comportements. » La déception affleure aussi dans la réaction de cet autre médecin, qui a requis l’anonymat pour s’exprimer. « On savait qu’il y avait une prescription pour un certain nombre de faits. D’autres ne relèvent peut-être pas du Code pénal. Mais on est stupéfait de cette annonce. Un procès équitable aurait permis de tirer le vrai du faux sans suspicion. »
Le procureur de la République, Frédéric Teillet, a pris soin de détailler sa décision de ne pas poursuivre les deux mis en cause devant un tribunal. Selon son analyse, les faits dénoncés ne remplissaient pas les critères fixés par la loi et la jurisprudence. Les témoignages, estime-t-il, n’ont pas permis d’établir de manière certaine des pratiques systématiques relevant du harcèlement. Certes, la dégradation des conditions de travail était réelle. Mais elle ne s’expliquait pas seulement par des comportements individuels, note le magistrat, qui pointe aussi « un contexte de pénurie institutionnelle générateur de souffrances ».
« J’ai envie de tourner la page »
Un classement sans suite « contestable », estime Me Margaux Durand Poincloux, avocate de l’ISNI. Elle note tout de même un point de satisfaction : le procureur relève la détérioration des conditions de travail « endurée notamment par plusieurs internes placés sous le contrôle des deux mis en cause ». Elle y voit la validation de la démarche du syndicat qu’elle conseille : « Quoi qu’il en soit, l’ISNI, vu son objet, était légitime à signaler les faits qui lui ont été rapportés ».
Pour Xavier Morandi et Marco Corniola, qui ont toujours contesté ces accusations, c’est une nouvelle victoire sur le terrain judiciaire. Ils avaient déjà obtenu la condamnation de Paris Match pour atteinte à la présomption d’innocence après la publication de témoignages les visant. « Cette affaire m’inspire un sentiment de terrible gâchis », a réagi Jérôme Stéphan, l’avocat de Xavier Morandi, suspendu par la direction de l’hôpital. « La suspension avait pour base cette plainte et elle prive les patients des services de M. Morandi depuis deux ans. » Marco Corniola a quant à lui démissionné.
Est-ce l’épilogue de cette affaire qui a profondément ébranlé un service autrefois réputé pour ses performances ? Peut-être pas. La procédure engagée devant le conseil de l’ordre des médecins court toujours, notent les plaignants contactés par le Télégramme. Certains réfléchissent aussi à déposer plainte en se constituant partie civile, ce qui permettrait de relancer l’affaire en saisissant automatiquement un juge d’instruction, indépendant du parquet. D’autres préfèrent jeter l’éponge, comme cet ancien du CHU : « J’ai envie de tourner la page. Toute notre vie a tourné autour de Xavier Morandi quand on travaillait dans ce service. Je n’ai pas envie que ce soit le cas maintenant que je n’y suis plus. »