Par
Fabien Binacchi
Publié le
24 sept. 2025 à 18h44
Lionel Guedj, surnommé le « dentiste boucher », pourrait ne pas être le seul praticien de Marseille à avoir multiplié les victimes. Erreurs médicales, soupçons de fraudes… les pratiques d’un ophtalmologiste de la cité phocéenne sont également pointées du doigt par plusieurs de ses patients dont « la vie a été massacrée », témoigne l’un d’eux auprès d’actu Marseille. Au centre d’un nouveau numéro de l’émission de M6 Arnaques ! diffusée ce jeudi 25 septembre, ce médecin est toujours en activité malgré plusieurs signalements.
Un diagnostic inattendu
Sportive, passionnée de plongée sous-marine et de voyages, Danielle Hamou a toujours eu la bougeotte. Elle débordait d’énergie. Mais pour cette quinquagénaire originaire de Marseille, tout a basculé un jour de mars 2021.
« J’étais chargée de clientèle au téléphone et donc toute la journée, derrière un écran d’ordinateur. J’avais les yeux toujours fatigués et la vue qui baissait de plus en plus vite, rembobine-t-elle. J’en étais arrivée à devoir changer de lunettes tous les six mois. » Elle s’inquiète et décide de se trouver un nouveau spécialiste, un autre praticien que son « ophtalmo lambda ».
La dynamique quinqua prend un rendez-vous sur Doctolib, « c’était le premier disponible » dit-elle. Quelques jours plus tard, surprise : ce fameux médecin pose un diagnostic inattendu. « Il m’a dit que je souffrais d’une cataracte aggravée et qu’il pouvait m’opérer, qu’il était mon sauveur et qu’avec un implant, je n’aurais jamais plus besoin de lunettes. »
« L’infirmière m’a dit de ne pas revenir »
Soufflée par cette annonce alors qu’elle n’a « que 51 ans » à l’époque, Danielle a du mal à y croire. D’autant plus que le praticien décèle le même mal à son compagnon, présent à ses côtés dans le cabinet ce jour-là, rapporte-t-elle. La coïncidence est étrange. « Mais il était formel. Il nous a juste dit que son stade à lui était moins avancé. »
Après quelques jours de réflexion, elle fixe un nouveau rendez-vous. Le 16 mars 2021, son œil droit est opéré. Tout se passe bien. La visite de contrôle est « OK ». Deux jours plus tard, c’est donc au tour de l’œil gauche de passer entre les mains du docteur. Et là c’est le trou noir. « Je ne vois rien. Il me dit de patienter. Le lendemain, toujours rien. » De retour au cabinet, c’est la catastrophe : un crochet de l’implant « multifocal » n’aurait pas tenu.
« Il me réopère puis c’est une autre attache qui lâche. Et ainsi de suite. Une troisième et une quatrième fois. Mon œil est injecté de sang. Il veut y retourner une cinquième fois. J’accepte à contrecœur. J’ai peur. »
Danielle Hamou
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Rien ne se passe comme prévu. « Il ne faisait pas ce qu’il fallait. L’infirmière le reprenait. Elle a fini par me dire de ne plus revenir, qu’il m’avait massacrée », confie encore Danielle. Son œil est très endommagé. Elle ne sait plus évaluer les distances : « Je me cogne contre des murs, je ne peux plus conduire, ni travailler, même pas cuisiner. »
Dépassements d’honoraires et « fraude fiscale » ?
Plusieurs spécialistes vont tenter de réparer les dégâts. Le chemin est long. Elle trouve finalement le salut en septembre 2023, plus de 2 ans plus tard, auprès d’un professeur de Montpellier. Une technique de greffe de cornée aidée par de la membrane amniotique, du placenta en clair. Aujourd’hui, cette habitante de Berre-L’Étang a retrouvé 6/10 à l’œil gauche mais « a toujours des problèmes avec la lumière ».
Puis, elle assure avoir « presque tout perdu » : elle est au RSA et s’est séparée de son compagnon « après 13 ans de relation ». « Tout ça pourquoi ? Pour rien. Je n’avais même pas de cataracte. Et je ne suis pas la seule. Il a fait plusieurs victimes dont la vie a été massacrée. »
M6 révèle que le fameux docteur opérerait à la chaîne, cataracte ou pas, pour une bonne raison : des dépassements d’honoraires réglés par les patients mais non facturés. « Ça s’appelle une fraude fiscale », explique Me Philippe Courtois, l’avocat de plusieurs victimes, à la chaîne. Une enquête aurait déjà été classée sans suite, pour cause de prescription. Un appel a été interjeté contre cette décision.
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Un patient pris pour un autre
Un autre de ses patients qui avait saisi le conseil de l’ordre a déjà obtenu à son encontre une « sanction d’interdiction d’exercer la médecine d’une durée de 6 mois ». Entre février et août 2024. Elle n’a jamais été effective, le docteur ayant lui aussi fait appel.
Pas de quoi apaiser la colère et la douleur de Christophe, 46 ans, qui regrette aussi tous les jours d’avoir croisé le chemin de cet ophtalmologue qui l’aurait opéré par erreur, vraisemblablement en se trompant de patient. C’était le 5 octobre 2020.
DJ prolifique à Dubaï, ce Marseillais d’origine était venu se confiner dans la cité phocéenne en pleine crise du Covid. « Il était le docteur de ma mère alors j’étais confiant. Je souffre parfois de migraines ophtalmiques. J’y allais pour me faire prescrire de nouvelles lunettes de repos. Je m’installe dans la salle d’attente. Il déboule et me dit ‘c’est à toi’, en me tutoyant. Il me fait m’asseoir à une machine. Je lui dis : ‘attendez, vous ne voulez pas savoir pourquoi je suis là ?’, il ne me répond pas. »
Le spécialiste commet alors l’irréparable : confondant Christophe avec un autre patient qui n’avait pourtant rien à voir, âgé d’une quinzaine d’années de plus, il lui envoie des coups de laser dans les deux yeux. L’appareil, un Nd-YAG, est conçu pour réparer les « opacifications capsulaires postérieures », autrement dit, les cataractes, dont ce quadragénaire ne souffre pas non plus. « Quand il m’a appelé Frédéric, c’était trop tard. » Les rayons ont causé des dégâts irréversibles à son cristallin. Le patient est aveuglé.
« Encore lui »
Tant bien que mal, Christophe avertit le médecin. « Il finit par me dire : ‘tu as eu le Covid, c’est ça qui t’a rendu comme ça. » Le choc sur le choc. Les services d’urgences ophtalmiques n’ont jamais vu ça. « Quand j’ai dit de quel cabinet je venais, j’ai entendu quelqu’un dire ’encore lui’. J’ai compris que c’était très grave. »
Il fait 118 passages dans des hôpitaux de Marseille. Un colloque de spécialistes est même dépêché pour résoudre le cas de cet homme d’alors 41 ans. Ses cristallins lui est ont été amputés. Sa vision est aujourd’hui de 1/10 et les douleurs sont permanentes. « Comme si on me pinçait de l’intérieur. » Christophe est aujourd’hui reconnu handicapé. Il touche un peu plus de 1034 euros par mois alors que son ancienne activité lui rapportait « au moins un zéro de plus ». Mais il ne peut plus la pratiquer.
Désormais, cette victime attend que l’assurance du praticien l’indemnise « mais surtout qu’il arrête d’exercer et qu’il soit condamné ». De son côté, le docteur semble balayer toutes les accusations. Contacté par actu Marseille, son cabinet coupe court : « Il ne répond pas aux journalistes ». Il continue de recevoir des patients.
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