De la cathédrale de Strasbourg, il n’avait aperçu que la flèche se découpant dans le ciel blanc de ce jour de novembre 2014. Par le hublot de son avion, peut-être, et par la fenêtre de la Peugeot 407 du Parlement européen venue le chercher à l’aéroport d’Entzheim – le pape avait décliné la Citroën C6 de la préfecture du Bas-Rhin, jugée « trop luxueuse »…

«Aller à la cathédrale aurait signifié accomplir déjà une visite en France, et c’était le problème », avait expliqué le pape à la presse dans l’avion le ramenant à Rome. Ce n’était pas une visite à la France : François, élu seulement un an et demi avant, n’y avait encore fait aucune visite, l’adoption du mariage pour tous l’année précédente ne poussait pas le Vatican à se presser.

Pour ce cinquième voyage de son pontificat, le pape argentin voulait parler à l’Europe. Du moins à ceux qui à ce moment-là la façonnaient.

« Les grands idéaux qui ont inspiré l’Europe semblent avoir perdu leur force attractive »

Dans l’hémicycle du Parlement européen , plein à craquer mais sage comme une icône, le pape François avait voulu remettre l’humain au centre des douze étoiles, formulant un « encouragement pour revenir à la ferme conviction des Pères fondateurs de l’Union Européenne, qui souhaitaient un avenir fondé sur la capacité de travailler ensemble afin de dépasser les divisions, et favoriser la paix et la communion entre tous les peuples du continent. Au centre de cet ambitieux projet politique, il y avait la confiance en l’homme, non pas tant comme citoyen, ni comme sujet économique, mais en l’homme comme personne dotée d’une dignité transcendante. »

« D’un peu partout, on a une impression générale de fatigue, de vieillissement, d’une Europe grand-mère et non plus féconde et vivante. Par conséquent, les grands idéaux qui ont inspiré l’Europe semblent avoir perdu leur force attractive en faveur de la technique bureaucratique de ses institutions. À cela s’ajoutent des styles de vie un peu égoïstes, caractérisés par une opulence désormais insoutenable et souvent indifférente au monde environnant, surtout aux plus pauvres », avait ajouté le pape François, appelant à une Europe plus humaine face aux drames de l’immigration (« On ne peut tolérer que la Mer Méditerranéenne devienne un grand cimetière ! »), qui investisse plus dans l’éducation, défende l’environnement (« Notre terre a en effet besoin de soins continus et d’attentions ; chacun a une responsabilité personnelle dans la protection de la création », « don précieux » dont nous sommes « les gardiens, mais pas les propriétaires ».)

« Une Europe blessée », « plus capable d’affronter les crises avec la vitalité et l’énergie d’autrefois »

Une heure plus tard, devant le Conseil de l’Europe, dans l’hémicycle même où son prédécesseur Jean Paul II s’était exprimé en faveur de la fin de la Guerre froide en 1988, François avait parlé d’une « Europe blessée à cause des nombreuses épreuves du passé, mais aussi à cause des crises actuelles, qu’elle ne semble plus capable d’affronter avec la vitalité et l’énergie d’autrefois ». Là, il avait appelé le Conseil (47 États membres à l’époque, 46 aujourd’hui depuis l’exclusion en 2022 de la Russie, qui venait de commencer en 2014 ses manœuvres guerrières en Ukraine) à poursuivre son effort de préservation de la paix, en danger de « retomber dans les tentations d’autrefois ».

François ne reposa le pied sur le sol français que neuf années plus tard, en septembre 2023, « à Marseille mais pas en France », puis en Corse en décembre 2024. Il rendait alors symboliquement visite à l’espace méditerranéen, pour parler de l’accueil des migrants. Là aussi, son message fut un appel à une plus grande fraternité.