Écrit par


Léna Thobie-Gorce

Publié le27/09/2025 à 08h00

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Début septembre, un médecin anesthésiste exerçant à Évreux et à Mont-Saint-Aignan a été radié par l’Ordre des médecins. La patiente à l’origine du signalement et de la plainte témoigne sur ce qu’elle a vécu.

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Début septembre, nous apprenions la décision de l’Ordre des médecins de Normandie de radier Mohamad Mansour, anesthésiste-réanimateur de 62 ans qui exerçait à l’hôpital privé Pasteur à Evreux et au Centre hospitalier du Belvédère à Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime).

Dans sa décision, l’Ordre des médecins précise que cet anesthésiste « s’est livré le 18 juin 2020 à des gestes gynécologiques et proctologiques qui portent atteinte à l’intégrité physique et à la dignité de plusieurs patientes ».

Cette sanction, la plus sévère prévue par le code de déontologie médicale est un soulagement pour Emma*. Elle est à l’origine du signalement et d’une plainte pour viol à l’encontre du praticien.

Emma a 35 ans aux moments des faits. Elle a rendez-vous le 18 juin 2020 à l’hôpital Pasteur à Évreux en vue d’une opération. Après des questions d’ordre général, le médecin aurait dévié vers des questions beaucoup plus personnelles. Puis, prétextant un risque d’œdème vulvaire et une phlébite, il lui aurait demandé de soulever sa jupe.

Il commence à me toucher à l’intérieur des cuisses. Puis, il m’a rentré des doigts dans le vagin, il n’avait pas de gants, il regardait au plafond comme s’il était vraiment en train de m’examiner.

Emma, victime de viol par un anesthésiste-réanimateur

« Ensuite, il m’a parlé d’un risque d’hémorroïdes, il m’a mis sur le côté, m’a écarté les fesses et m’a mis des doigts. Toujours sans gants », raconte-t-elle.

La consultation aurait duré une vingtaine de minutes. Emma sort de l’hôpital et se sent tout de suite très mal. Elle a le sentiment que quelque chose d’anormal s’est produit. Elle en parle à sa mère, des amies proches, dont un médecin puis son gynécologue. Tous lui confirment qu’elle doit porter plainte.

Quelques heures plus tard, Emma se retrouve au commissariat pour déposer plainte puis à l’hôpital pour des prélèvements. Ses sous-vêtements sont également mis sous scellés.

Je suis dans la chambre d’hôpital, il y a quatre policiers autour de moi. On me dit, vous avez subi un viol par surprise et là c’est le choc en fait, tout s’effondre. Ça a été extrêmement brutal. Ma vie a basculé du jour au lendemain. C’était un cauchemar.

Emma, victime de viol par un anesthésiste-réanimateur

Emma, cheffe d’entreprise et mère de deux enfants, décrit une grosse dépression pendant les deux années qui suivent : « Je n’avais plus la force de rien, plus la force pour mes rendez-vous pro. J’avais peur de le croiser en permanence, peur qu’il se venge parce que je l’avais accusé. »

« J’ai continué à vivre pour mes enfants, il fallait que je reste forte. Je pense à toutes les femmes qui ne sont pas bien entourées par leurs amis ou leur famille, moi ça a été le cas heureusement. (…) Désormais, je ne vois plus que trois médecins ou bien, je me fais accompagner », poursuit-elle.

Après son dépôt de plainte, « tout était extrêmement long », déplore Emma. L’anesthésiste-réanimateur est placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer seul, seulement deux ans plus tard, en 2022. En mai 2025, il est finalement suspendu par le centre hospitalier de Mont-Saint-Aignan puis un mois plus tard, sur tout le territoire national par l’ARS Normandie.

Durant l’enquête judiciaire, la juge d’instruction a saisi l’agenda du praticien et a décidé d’interroger chaque patiente de ce même jour. C’est là que les enquêteurs ont trouvé deux autres potentielles victimes en plus d’Emma : une pour viol et une pour agression sexuelle.

Chaque victime s’est laissée faire parce qu’on n’ose pas remettre en cause le statut du médecin. On est censé lui faire confiance. Elles ont douté et se sont dit : est-ce que je n’ai pas rêvé ? Et puis, il y a ce sentiment de honte quand on est victimes.

Me François Delacroix, avocat d’Emma

Le 28 août dernier, lors de l’audience devant la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins de Normandie, les deux victimes ont été confrontées au médecin. « L’une des victimes est tombée dans les pommes en le voyant, ça lui a fait un choc », raconte également Me François Delacroix, avocat d’Emma.

De son côté, l’anesthésiste a contesté les faits assurant que « dans le contexte exceptionnel de la pandémie de Covid-19 », et lors de « sa première journée de consultations post-confinement » il a assuré vouloir réaliser « des examens cliniques plus approfondis ».

Le médecin sexagénaire sera « en principe jugé en mai prochain par la cour criminelle départementale de l’Eure », nous a précisé le procureur de la République d’Évreux, Rémi Coutin.

Pour l’instant, seules trois victimes ont été identifiées, mais il pourrait y en avoir beaucoup plus selon Emma et son avocat. « Ils ont fait l’enquête uniquement sur une journée. Le médecin était aussi sur un autre hôpital, c’est fort probable que ce soit arrivé à d’autres femmes. J’espère d’ailleurs que d’autres victimes se manifesteront », estime Me François Delacroix, avocat d’Emma.

Je veux qu’il ressorte avec les menottes et qu’il aille en prison.

Emma, victime de viol par un anesthésiste-réanimateur

Emma a aussi beaucoup d’attente pour ce procès. Elle constate une libération de la parole sur le sujet et insiste : « si des femmes ont des doutes sur un médecin, si elles se sont senties mal après un examen, il faut qu’elles contactent directement l’ARS. Ce sont eux les plus rapides et j’ai eu la chance d’avoir une très bonne prise en charge. »

*Le prénom a été modifié