Au château Latour, un des plus grands vins du Bordelais – premier cru classé 1855 –, la vendange se fait en taille patron. Ici, pas de machine à vendanger à l’horizon mais plus de 300 personnes à la tâche. Un chantier comme il en existe peu dans le Bordelais. Hélène Génin, directrice technique, est à la baguette. « C’est une grosse logistique, mais nous avons l’habitude. »

Hélène Génin, directrice technique du château Latour, coordonne l’immense chantier des vendanges, avec plus de 300 personnes au travail.

Hélène Génin, directrice technique du château Latour, coordonne l’immense chantier des vendanges, avec plus de 300 personnes au travail.

Laurent Theillet / SO

Direction une parcelle se trouvant au pied de la tour qui a donné son nom au domaine. Trois équipes (de 45 coupeurs et 13 porteurs chacune) s’activent en différents points de cette propriété qui compte 97 hectares, dont 86 sont actuellement en production (1). « Nous goûtons les raisins pour déterminer la date de récolte en fonction de leur maturité », indique l’œnologue. Un travail au millimètre qui donnera naissance à trois vins : Château Latour, les Forts de Latour (deuxième vin) et Pauillac de Château Latour (troisième vin).

Des vendangeurs devant la célèbre tour qui a donné son nom à la propriété.

Des vendangeurs devant la célèbre tour qui a donné son nom à la propriété.

Laurent Theillet / SO

Bichonner le personnel

Le jour de notre visite, la pluie est là. « Les vendanges, ce n’est pas que le soleil », indique une jeune habituée, à peine visible sous sa capuche. Les porteurs amènent les cagettes vers un tracteur situé en bout de rang. On contrôle qu’aucun raisin n’est oublié sur les pieds. Un petit fourgon frigorifique achemine l’eau lors des pauses. « Cela évite les bouteilles en plastique. C’est mieux pour l’environnement », se félicite un chef d’équipe, tout en proposant des friandises. Même si vendanger à Latour attire du monde, il faut choyer sa troupe de saisonniers. Ainsi que les 92 employés permanents du château.

L’activité au chai fait penser à une fourmilière bien rodée

Une soixantaine de personnes trient à la main le raisin qui arrive dans le chai.

Une soixantaine de personnes trient à la main le raisin qui arrive dans le chai.

Laurent Theillet / SO

Cette année, tous auront été sur le pont durant trois semaines, du 30 août au 21 septembre, avec 17 jours de récolte effectifs. Sur cette propriété certifiée bio depuis 2018, les rendements s’annoncent sous les 30 hectolitres par hectare. Dans tout le département, à cause de la sécheresse, les baies ont peu de jus et la récolte 2025 sera historiquement maigre.

Les premiers jus du millésime 2025 sortent des cuves. La qualité est au rendez-vous, pas les volumes.

Les premiers jus du millésime 2025 sortent des cuves. La qualité est au rendez-vous, pas les volumes.

Laurent Theillet / SO

Étape suivante au chai, où l’activité fait penser à une fourmilière bien rodée : une soixantaine de personnes trient la vendange de part et d’autre de quatre grands tapis roulants. Le but ? Écarter les baies abîmées et autres pétioles avant que les grappes n’atterrissent dans les cuves (il y en a 89). « Nous ne sommes pas convaincus par l’essai l’an passé d’un tri optique, la main travaille mieux mais il faut du temps », indique Hélène Génin en pénétrant dans le laboratoire.

Le vin de ce millésime 2025 sera mis en barriques début janvier, pour une durée de dix-huit mois.

Le vin de ce millésime 2025 sera mis en barriques début janvier, pour une durée de dix-huit mois.

Laurent Theillet / SO

Elle répond à son énième appel de la matinée : « Faut-il vendanger la parcelle arrêtée hier ? » La réponse est oui. Il faut ramasser bien et bon. Le laboratoire ressemble à celui d’une usine : bien numérotés dans leur petite bouteille, les échantillons seront goûtés pratiquement tous les jours pour piloter au mieux les vinifications. L’œnologue médocain Éric Boissenot, conseiller du château, apportera son expertise.

Cuve par cuve, tous les échantillons, bien numérotés, sont dégustés pratiquement tous les jours pour apprécier leur évolution qualitative.

Cuve par cuve, tous les échantillons, bien numérotés, sont dégustés pratiquement tous les jours pour apprécier leur évolution qualitative.

Laurent Theillet / SO

Trois cents personnes à table

Bilan de la matinée ? « Cette année, les vendanges sont sereines. On s’attend à une belle qualité », sourit la responsable. Dans un autre chai éclairé par des spots comme dans une salle de spectacle, les ouvriers bichonnent les fûts qui logeront pendant dix-huit mois le grand vin. À l’extérieur, un groupe fait une visite en anglais. Le business ne s’arrête jamais.

Il est midi, l’heure de reprendre des forces : les 300 travailleurs du jour déjeuneront sur place sous une grande tente montée pour l’occasion. Un traiteur est à la manœuvre – entrées variées, plat chaud, dessert. « Les gens ont de l’appétit », nous dit-on. L’exercice physique creuse. Ce sera un panier-repas pour le soir.

Hélène Génin avale son café et se projette sur les décisions à prendre pour un accouchement réussi de ce millésime 2025, mais également pour plus tard. La propriété compte nombre de vieux ceps, faudra-t-il arracher des parcelles et tout renouveler d’un coup ou continuer à complanter (ne remplacer que les pieds morts au fur et à mesure) ? L’essai effectué pour refroidir la vendange en cas de fortes températures sera-t-il généralisé l’an prochain ? Comment aller plus loin dans les dégustations comparées de vins élevés dans des barriques différentes ? Comment explorer la vie des sols – avec l’aide d’un thésard – pour favoriser le système racinaire ? Pour cela, Latour dispose de parcelles expérimentales.

Dans un milieu viticole très technique, les plus qualitatifs se gagnent centimètre par centimètre, année après année, y  compris dans les châteaux où tout est de taille XXL. Tout en restant, bien sûr, les pieds sur terre : « On aura pris 81 millimètres de pluie pendant les vendanges, avec 32 °C pour le jour le plus chaud », conclut une responsable qui aime la précision.

(1) Latour avait 69 hectares au début du siècle.