Rappelez-vous, nous sommes en 2019 et Avengers : Endgame vient de battre des records dans les cinémas du monde. Le dernier film de l’écurie Marvel a prouvé la toute-puissance des superhéros au box-office. Mais entre deux sorties chez Marvel et DC, des petits nouveaux font une arrivée fracassante. Sur Prime Video, The Boys fait de sa singularité sa plus grande force, et ce, dès les premiers instants.

La petite amie du personnage principal, Hughie, est réduite en charpie par un justicier accro aux drogues, la copie à peine déguisée de Superman est un psychopathe et un symbole de la montée en puissance du fascisme. Tout dans l’adaptation des comics de Garth Ennis sonne comme un doigt d’honneur aux superhéros politiquement corrects qui envahissent régulièrement les salles obscures.

Miroir déformant

The Boys se paie la tête de tout le monde, de l’industrie cinématographique en premier lieu, mais aussi et surtout des États-Unis plus polarisés que jamais, entre les mains des industriels et des magnats de la finance. En explorant les coulisses de Vought dans ses premières saisons, la série d’Eric Kripke offre un miroir déformant de nos sociétés capitalistes.

Les effusions de sang et les scènes explicites servent à passer notre époque au microscope… aidé par les ficelles scénaristiques qu’offre le genre. Dans Gen V — spin-off consacré à des étudiants — les pouvoirs permettent cette fois de changer d’échelle et d’évoquer des thématiques plus humaines. Elles prennent vie… littéralement.

Les humains sous la loupe de la fiction

Selon Maddie Phillips, qui campe Cate Dunlap dans la série, l’approche est tout de même différente en ça qu’elle se concentre moins sur les coulisses du pouvoir que sur la réponse des citoyens et les interactions entre les humains.

“Notre série le fait de manière plus zoomée, en montrant comment les gens interagissent dans nos sociétés. Les deux séries reflètent le monde de manière intéressante, mais je pense que notre série est plus accessible aux jeunes spectateurs. C’est une porte d’entrée plus digeste, ensuite ils peuvent aller voir The Boys pour le côté plus sombre, plus lourd et important”.

Gen V Cate Dunlap© Prime Video

Le cas du personnage de Jordan Li, qui peut changer son apparence et son genre à loisir, retranscrit parfaitement la tonalité de la série. Au travers de son parcours, Gen V peut évoquer la question des personnes trans aux États-Unis et dans le reste du monde, à une heure où leurs droits sont plus menacés que jamais. Pour London et Derek Luh, qui campent le personnage, le travail des scénaristes rend ces héros aussi pertinents. “Nous avons beaucoup de chance de les avoir. C’est une représentation unique et dynamique”. 

Le parcours de Marie met aussi en lumière la place des jeunes femmes noires, entre porte-étendard de la diversité et éternelles laissées pour compte. Son pouvoir sert aussi à évoquer le tabou de la sexualité féminine, ses premières menstruations déclenchent une série d’événements dramatiques et traumatiques que la série continuera d’explorer tout au long de la première et la deuxième saison.

“Marie est une outsider classique. Si l’on parle des structures de pouvoirs existantes, rien n’est fait pour qu’elle gagne. Le fait qu’elle ait ces pouvoirs rend sa réussite indéniable et je pense que ça la met dans une position intéressante”.

La série adapte ainsi les schémas classiques du genre pour mieux les détourner, avec un regard sinistre qui sied particulièrement bien à la franchise.

Espace de liberté

Mais si Gen V est si politique, c’est aussi parce que le contexte donne aux scénaristes un terrain de jeu inédit. L’Amérique de The Boys n’est pas l’Amérique contemporaine, c’est une société où les tensions sont exacerbées et où les armes ont été remplacées par des superpouvoirs. Selon Asa Germann, qui campe Sam Riordan dans la série, la fiction est une occasion rêvée d’amplifier les thématiques sociales de Gen V, de raconter notre monde autrement.

“Il y a une satire brillante dans la série. C’est un peu comme un sas de décompression de plein de manières dans cette tension et cette pression que l’on peut sentir quand on allume les infos. Il y a quelque chose de très digeste à regarder cette analogie, un monde qui ressemble au nôtre, mais qui est aussi différent. On a l’impression de pouvoir commenter à peu près tout ce que l’on veut. Les Simpsons ont l’air d’être les premiers à avoir fait ça. Merci Matt Groening (rires)”

Gen Jordan Li© Prime Video “Allez regarder autre chose”

Mais voilà, même si la série reste le plus souvent éloignée de la réalité politique qui l’inspire, certains spectateurs ont observé une montée en puissance de la satire au fil des saisons et des projets. C’est particulièrement vrai pour la saison 4 de The Boys, vivement critiquée sur les réseaux sociaux pour certains des choix opérés par la narration.

La révélation de la bisexualité de Frenchie a déclenché une vague d’indignation sur les réseaux sociaux, certains arguant que la série avait pris un “virage woke” proche de son grand final. Erik Kripke, créateur de The Boys, a été interrogé en juin 2024 par The Hollywood Reporter après cette controverse.

Au micro de nos confrères américains, le scénariste expliquait avoir présenté le projet en 2016 alors que l’idée d’un Donald Trump au pouvoir était saugrenue. “Lorsqu’il a été élu, nous avons eu une métaphore qui en disait long sur le monde actuel. Soudain, nous racontions une histoire sur le croisement entre célébrité et autoritarisme, et sur la manière dont les réseaux sociaux sont utilisés pour promouvoir le fascisme”.

Mais la série a été rattrapée par la réalité. Si Kripke concède bien volontiers ne pas faire preuve de subtilité, il invite ceux qui ne seraient pas séduits par son approche à se vouer à d’autres univers et mythologies. “J’ai clairement un point de vue, et je n’hésite pas à l’intégrer à la série. Si vous voulez qualifier la série de woke ou autre, pas de problème. Allez regarder, autre chose. Mais je ne vais certainement pas m’excuser ni retenir mes coups”.

Nous voilà prévenus. Reste à voir maintenant si Gen V réussira à se montrer aussi pertinente sur la durée que son ainée. On serait tenté de dire que c’est déjà largement le cas… Et puis, l’adaptation des comics de Garth Ennis a déjà trouvé son public, parmi celles et ceux qui veulent découvrir des séries engagées et politiques.

À une heure où Marvel tourne inlassablement autour du pot, refusant d’utiliser son nouveau Captain America pour raconter les États-Unis contemporains, le courage de The Boys et Gen V de prendre ces questions à bras le corps mérite d’être salué. Même DC a franchi le pas avec son Superman, sous la houlette d’un James Gunn enfin tout à fait libre de ses mouvements. Si cette prise de risque lui a valu quelques critiques, force est de constater qu’au rayon des blockbusters estivaux, l’homme d’acier s’en est finalement mieux sorti. Des superhéros qui n’ont pas peur de froisser, c’est peut-être tout ce que l’on demandait…


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