David Haas|Photo: Magdalena Hrozínková, Radio Prague Int.
« C’est un livre dédié à mon père. Il est lié à l’histoire de toute notre famille », explique David Haas, le fils aîné de Tomáš Fritta-Haas, décédé à Prague en 2015. Installé aujourd’hui à Berlin, où il travaille dans un hôpital du quartier de Kreuzberg, David Haas passe beaucoup de temps à voyager avec ce livre, pour le présenter aux enfants dans les écoles, mais aussi à un public adulte, accompagné d’autres dessins réalisés par son grand-père pendant la Deuxième Guerre mondiale au ghetto juif de Terezín.
Artiste reconnu à Prague, Bedřich Fritta (né Fritz Taussig) a été interné à Terezín en décembre 1941. Peu après sa femme et leur fils Tomáš, âgé alors de 17 mois, y ont également été déportés. A Terezín, Bedřich Fritta était chargé de diriger un atelier de dessins techniques que les nazis avaient créé pour élaborer des plans, des graphiques, des panneaux, ainsi que des matériaux de propagande.
Une poignée d’artistes, dont notamment Bedřich Fritta et son ami Leo Haas, ont parallèlement dessiné, en cachette, la vérité du camp, la vie quotidienne des déportés et leur souffrance. Le groupe, qui a essayé de faire sortir les dessins du camp, a été démantelé. A la veille de sa déportation à Auschwitz, Bedřich Fritta a toutefois réussi à enterrer ses œuvres dans une cour du ghetto et, avec elles, le livre de dessins dédicacé « Tomíčkovi » – « Pour Tomíček, à l’occasion de son troisième anniversaire, le 22 janvier 1944. »
David Haas raconte :
Leo Haas|Photo: Gepam/Plone Foundation
« Leo Hass a promis à son meilleur ami Bedřich de retrouver les dessins et de s’occuper de son fils Tomáš. Epuisé, mon grand-père est mort peu après sa déportation à Auschwitz, dans les bras de Leo. Après la guerre, celui-ci a tenu sa promesse. Leo était quelqu’un de très résilient, physiquement et mentalement. Il était le seul des peintres de Terezín à survivre à la guerre et à retrouver les dessins. S’il n’avait pas survécu, personne ne les aurait mis au jour. Pour Bedřich, il était très important que les dessins qui témoignaient de la réalité d’un camp nazi, ne soient pas oubliés. »
‘Pour Tommy’|Source: Schola Fidentiae
Enfoui sous la terre, le livre « Tomíčkovi » a ainsi également été sauvé. Leo Haas a ne l’a donné à son fils adoptif Tomáš qu’au moment où il s’est marié. Tomáš Haas-Fritta ne s’en est ensuite jamais séparé. Le livre a voyagé avec lui, sa femme et leurs enfants partout où la famille a vécu : à Prague, ainsi qu’en Israël, et enfin à Mannheim, en Allemagne, où Tomáš a par ailleurs travaillé comme bibliothécaire.
« Quand je feuillette ce livre, même si c’est pour la millième fois, j’ai la chair de poule. Tout le monde a des parents dont il se souvient. Pas moi », a un jour confié Tomáš Fritta-Haas dans une interview. « Quand je touche ces dessins » a-t-il encore raconté, « c’est comme si j’étais avec eux. Un jour, j’ai rencontré quelqu’un qui avait connu mes parents, et qui m’a dit que ma mère, morte du typhus à Terezín, portait des lunettes, fumait énormément, avait une voix grave et un sens de l’humour incroyable. Je sais maintenant que ma mère était comme moi. Ce livre me rapproche, tout simplement, de mes parents. »
David Haas confirme les propos de son père :
« Ce livre était le seul lien qu’il avait à sa famille. Il l’a toujours eu à portée de main. Nous, les enfants, l’avons souvent feuilleté. Après sa mort, nous l’avons donné au Musée juif de Berlin, où il est exposé aux côtés des autres œuvres de Bedřich Fritta. (…) Mon père avait déjà essayé de le faire publier en 1967 aux Etats-Unis, mais le projet a échoué. L’histoire de ce livre de dessins n’a été révélé qu’au début des années 1980 en Allemagne, après la publication d’un article dans le magazine Spiegel. On y a parlé des peintres de Terezín et du petit garçon de l’un d’entre eux qui aurait survécu à la guerre. A ce moment-là, mon père a dit : ‘ce petit garçon, c’est moi’. Les médias ont alors commencé à s’intéresser à son histoire et à l’interviewer. »
« Le livre commence par les dessins qui illustrent le quotidien de n’importe quel enfant. Ces images sont accompagnées de très courts commentaires dans un langage enfantin qui, comme je le sais, posent pas mal de problèmes aux traducteurs… Dans la deuxième moitié, le ton du livre change… L’auteur montre à son fils le monde qu’il ne connaît malheureusement pas : la beauté de la nature, les prairies, les papillons… Il imagine aussi le destin de son fils, les métiers qu’il pourrait exercer. Il dit juste qu’il n’aimerait pas que son fils devienne commerçant ou général. Et il illustre ses propos par deux caricatures qui sont même très proches de la manière dont les nazis avaient l’habitude de représenter les Juifs. Personnellement, ces deux images m’intriguent beaucoup. »
‘Pour Tommy’|Source: Yad Vashem, The World Holocaust Remembrance Center
‘Orphelin heureux Tomáš Fritta Haas’|Photo: Kalich
« Orphelin heureux » (« Šťastný sirotek ») : tel est le titre de la biographie de Tomáš Fritta-Haas publiée en 2023 par l’auteure tchèque Věra Trnková.
« C’est tout le message pacifique du livre ‘Tomíčkovi’ », estime David Haas, « qu’il n’y ait pas de guerres, mais que l’on puisse mener une vie normale, heureuse. Adulte, ‘Tomíček’ a réalisé pas mal de choses imaginées par son père : il a beaucoup voyagé et a su profiter de la vie. Il a fondé une grande famille et vivre à ses côtés a été une véritable aventure », s’est encore souvenu David Haas, venu à Prague à l’occasion de l’édition de l’ouvrage par l’association Schola Fidentiae qui le vend également sur son site.