Votre téléphone ne vous écoute pas, il n’en a pas besoin. Vos recherches, les sites que vous visitez sur Chrome, les vidéos que vous regardez sur YouTube, chaque micro mouvement lorsque vous faites défiler les actualités sur Discover et tout ce que vous faites sur votre smartphone Android… ce sont autant d’informations plus ou moins importantes que Google anonymise et analyse afin de dresser un portrait de vous dans le but de vous afficher des publicités ciblées et du contenu sur lequel vous aurez envie de cliquer.
Dans un monde au climat politique instable depuis l’élection de Donald Trump aux États-Unis, il peut être intéressant de réduire notre servitude aux grandes entreprises étrangères et les données que nous leur fournissons. Cette dépendance, on l’accepte par confort, mais est-il possible de faire autrement ? C’est la question que je me suis posée en début d’année. Pourtant, je pars de loin : j’ai un Pixel dans la poche, une Pixel Watch au poignet et un navigateur Chromium. Autant dire que Google me connait mieux que je me connais moi-même.
J’ai donc commencé à m’intéresser aux alternatives, notamment /e/OS et GrapheneOS, mais l’une d’elles en particulier m’a intrigué, puisque je n’en avais jamais entendu parler avant : iodéOS.
Qui est iodé ?
Iodé est une entreprise toulousaine fondée en 2021 avec une idée en tête : créer une alternative plaçant les personnes avant les profits. Cela commence par un système d’exploitation open source, iodéOS, hébergé en France et proposant un plus grand contrôle sur notre vie privée.
Pour cela, pas besoin de réinventer la roue : iodéOS est un dérivé de LineageOS (comme /e/OS), une distribution Android bien connue des amateurs de personnalisation. Sur cette base déjà solide, iodé rajoute ses propres sécurités : analyse des connexions internet, blocage des transmissions indésirables, contrôle parental, audit des applications utilisées et un lot d’applications open source pour remplacer les classiques de Google.
Cet OS peut être téléchargé et installé sur votre téléphone existant, mais vous pouvez également acheter un smartphone clés en main sur la boutique de la marque, dont des modèles reconditionnés. Le dernier à avoir intégré le catalogue est le Pixel 9, l’occasion pour moi de tester l’expérience sans trop être dépaysé, et ainsi vérifier si c’est à la portée de n’importe qui.
Comme à la maison, ou presque
Le premier démarrage n’est pas franchement déroutant, c’est Android. L’accent est davantage mis sur la sécurité lors des questions d’initialisation, mais tout se fait comme sur un Pixel traditionnel. C’est une fois que le téléphone est lancé qu’on note la première différence, assez évidente : les applications de Google sont absentes. Google Maps, YouTube, Gmail, Photos… même la calculatrice, l’agenda et l’appareil photo ont été remplacés par des applications tierces, open source et respectueuses de la vie privée.
© MC / Presse-citron
Autre absent de taille, le Play Store est remplacé par deux autres logithèques : F-Droid pour trouver de nombreuses apps open source et Aurora, un moyen d’accéder à toutes les applications du Google Play Store, mais sans suivi de vos téléchargements.
Précisons tout de même que sans toutes les briques élémentaires de Google, il est possible que certaines applications ne fonctionnent pas correctement. Sur l’application de mon tracker GPS pour vélo par exemple, je ne peux pas enregistrer d’adresse favorite pour une raison que j’ignore, mais la navigation ne présente aucun souci.
Mis à part ces quelques bugs inhérents au blocage de certains domaines, le système est parfaitement stable. Au quotidien, je n’ai souffert d’aucun ralentissement bizarre, de bug récurrent ou de drain de batterie, on sent bien que LineageOS (et ses dérivés dont fait partie iodéOS) est désormais un système mature qui fonctionne très bien.
Changer ses habitudes
Étant sur Android depuis une grosse quinzaine d’années maintenant, une grande partie de ma vie repose sur l’écosystème de Google. Je commande par exemple tous mes appareils domotique depuis Google Home. Dans l’idée de tenter l’expérience complète, sans aucun des services Google, j’ai donc cherché une alternative.
Ma première idée a été de me tourner vers Home Assistant. Pour cela, j’ai rebranché un vieux PC, installé Linux dessus, puis Docker et enfin Home Assistant que j’ai paramétré pour contrôler ma domotique. Après toute une journée à m’arracher les cheveux que je n’ai pas pour trouver les bonnes lignes de commandes, j’ai finalement obtenu un résultat qui ne me convenait pas entièrement. En attendant de replonger les mains dans le cambouis et de personnaliser tout ça, j’ai donc remis en place toutes les applications propriétaires de mes prises, lumières et autre serrure connectée, perdant au passage mes automatisations. À charge de revanche pour un prochain article sur Home Assistant.
F-Droid possède même une catégorie dédiée aux apps Iodé © MC / Presse-citron
Plus embêtant, j’avais pris l’habitude de payer sans contact avec mon téléphone grâce à… Google Wallet. Vous l’aurez compris, il faut là aussi trouver une alternative. Pour les cartes de fidélité, aucun problème, il existe des applications dédiées. Pour le paiement sans contact, je me suis tourné vers Curve Pay, que j’utilise déjà au quotidien depuis plusieurs années pour lier à Google Wallet ma carte bancaire d’une banque traditionnelle normalement incompatible. C’est gratuit et fonctionne très bien tout seul.
Tout cela, je m’y attendais. L’incompatibilité que je n’ai pas vu arriver en revanche, c’est mon lecteur de flux RSS. Pour y accéder, je paye un abonnement annuel via le Google Play Store. Et puisque l’app ne propose pas de moyen de paiement alternatif, il m’est donc impossible de récupérer mon abonnement, et donc d’accéder à mon flux. Dans mon cas, retrouver un autre lecteur RSS ne m’a pris que quelques minutes, mais cela soulève la question pour d’autres abonnements que vous pourriez avoir sur le Play Store.
Le navigateur est basé sur Firefox © MC / Presse-citron
Autre régression : l’application Messages supporte seulement les SMS et MMS, pas le RCS. Si le protocole est standardisé, il repose encore obligatoirement sur les serveurs de Google. Cette absence se comprend donc dans l’optique de se passer totalement des services de Google, mais reste une réduction de la vie privée, les SMS étant pires encore à ce niveau. Notons que par acquit de conscience, j’ai tout de même installé Google Messages, sans réussir pour autant à activer le RCS.
La Google Camera pour les Pixel
La plupart des utilisateurs de smartphone Pixel vous dira la même chose : ce n’est pas le téléphone le plus puissant, ni le plus autonome, mais il demeure satisfaisant et ses capacités photographiques sont telles qu’on en oublie le reste. Mais cette force n’est pas tant liée à son matériel qu’aux excellents algorithmes de photographie computationnelle de Google. Vous me voyez venir : lorsqu’on supprime Google de l’équation, ces algorithmes disparaissent également. Adieu le mode portrait et le mode nuit capables de réaliser de véritables prouesses… Tout du moins avec l’application par défaut.
C’est là qu’entre en jeu l’application Google Camera (Module photo Pixel sur l’Aurora Store). Pour l’installer, il faut encore pour le moment passer par le canal beta de iodéOS, mais elle fonctionne alors correctement, avec la qualité que l’on attend d’un Pixel. Qui plus est, elle travaille en local et ne se connecte pas aux serveurs de Google. Ouf !
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Seul bémol à cela : l’aperçu en bas à gauche est un raccourci vers… Google Photos et je n’ai trouvé aucun moyen de le changer. Pour visualiser vos photos, il faudra donc fermer manuellement l’application photo pour ouvrir votre galerie. Rien de bien gênant, mais c’est une friction supplémentaire à laquelle il faut s’accommoder.
Pour aller plus loin
Pour parachever l’expérience, iodéOS intègre un bloqueur qui « intercepte toutes les communications entrantes et sortantes de votre smartphone » et bloque les connexions indésirables. Tout ceci se passe évidemment en local sur le smartphone, sans aucune collecte et en se basant sur une liste collaborative open source. Les publicités et autres trackers sont ainsi automatiquement bloqués. Bien sûr, tout est entièrement réglable si vous souhaitez tout de même accéder à certains des domaines bloqués sur des applications en particulier.
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Pour 3,99 euros par mois, vous pouvez en outre accéder à des réglages Premium supplémentaires. Entre autres choses, vous y trouverez un contrôle parental permettant de bloquer l’accès aux sites pornographiques ou encore aux réseaux sociaux « non éthiques ». Bien sûr, tout ceci est complètement facultatif et la version gratuite fonctionne déjà très bien.
Une bonne alternative au duopole en place
Avec /e/OS et GrapheneOS, iodéOS vient grossir les rangs des alternatives éthiques à Android et iOS. Si vous souhaitez vous affranchir de l’hégémonie des grosses firmes américaines, vous trouverez en iodéOS une façon de considérablement réduire votre dépendance.
Pour autant, la transition peut nécessiter quelques ajustements, dépendamment de l’intégration de l’écosystème Google dans votre vie. Si comme moi avant le début de cet article, vous avez toute votre vie dans le cloud de la marque quadricolore, il faudra peut-être creuser certains points afin de réussir à vous sevrer totalement. Et c’est là que le bât blesse : il n’est pas toujours simple de trouver des alternatives. Si Google (et les big tech en général) sont si populaires, ce n’est pas pour rien ; leur simplicité, leur disponibilité et leur intégration est inégalable. Pour s’en détourner, il va falloir faire quelques concessions, comme perdre des fonctionnalités, des automatismes, ou bien mettre les mains dans le cambouis et installer ses propres serveurs, une manipulation qui n’est pas forcément évidente pour tout un chacun. Mais rien ne vous empêche de faire machine arrière si cela ne vous convient pas.
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