John Carpenter et Claude Lelouch. Deux réalisateurs légendaires, deux monstres sacrés du cinéma, que tout oppose. L’un s’est habitué à filmer la mort, qu’elle prenne la forme du tueur implacable Michael Myers (Halloween), d’une créature extraterrestre lovecraftienne (The Thing), ou d’une voiture (Christine). L’autre préfère la vie, l’amour, les amis, parfois les emmerdes (Un homme et une femme, Itinéraire d’un enfant gâté, L’aventure c’est l’aventure…).
Ces deux cinéastes ont pourtant eu l’occasion de se croiser, mais la rencontre ne s’était pas très bien passée. C’est John Carpenter lui-même qui a raconté cette histoire dans Big John. Sorti au milieu des années 2000, ce documentaire suit le réalisateur de New York 1997 déambuler en voiture dans les rues de Los Angeles.
Pendant 1h15, il raconte, parfois la clope au bec, les coulisses de ses films, s’arrête de temps en temps dans les lieux qui ont marqué sa carrière et se livre, sans filtre, sur tout un tas de sujets. Petit florilège : « Les États-Unis n’est pas un pays intellectuel, ne l’a jamais été et ne le sera jamais. » [À Hollywood], si tu ne rapportes pas d’argent, [les producteurs] n’ont pas besoin de toi. À moins d’avoir la classe, ce qui n’est définitivement pas mon cas ! »
« Claude Lelouch était outré que j’ose venir lui parler »
Et puis arrive le moment d’aborder son film Fog, qui avait été sélectionné en compétition du festival international du film fantastique d’Avoriaz en 1980, aux côtés notamment d’un certain Mad Max. « Je suis allé à Avoriaz pour présenter Fog. C’était génial, j’ai pu rencontrer Roman Polanski, un de mes héros, raconte-t-il pendant le documentaire. Mais cela dit, c’était bizarre… Je n’étais pas conscient de la politique derrière les coulisses. La vache… Tout le monde se prenait un peu trop au sérieux. »
Il poursuit : « L’un des jurés à l’époque était Claude Lelouch […]. Je m’approche de lui pour le saluer car j’aimais certains de ses films, particulièrement La bonne année […]. Au moment où je lui dis “bonjour, je suis John Carpenter et je voulais vous dire à quel point je suis touché de vous rencontrer”, il était outré que j’ose venir lui parler, comme si j’essayais d’influencer son vote. Mais je n’en avais strictement rien à foutre de son vote ! C’était juste pour moi l’occasion de rencontrer un cinéaste légendaire et je me suis dit “c’est quoi son problème ?”. Je m’en fichais qu’il vote pour Fog, moi-même je n’aurais pas voté pour Fog, je voulais juste lui faire un compliment… »
À l’arrivée, Fog n’a pas été primé par le jury. L’histoire ne nous dit pas si Claude Lelouch a vraiment milité contre le film de “Big John”, qui repartira tout de même avec le prix de la critique. Un moindre mal quand on sait à quel point Fog est aujourd’hui culte.
« Un des réalisateurs hurlait : “C’est de la pornographie !” »
Quelques années plus tard, John Carpenter franchira l’autre côté de la barrière en devenant en 1995 le président du jury du festival, quand celui-ci avait quitté Avoriaz pour s’installer à Gérardmer. « Mon Dieu… Tout le monde se prenait beaucoup trop au sérieux, se désolait-il. Ça se disputait sur les films, un des réalisateurs hurlait : “C’est de la pornographie !”. Mon Dieu… calmez-vous, fumez un joint ! »
Une chose est sûre, “Big John” n’aime pas se prendre la tête, presque à l’image finalement de Snake Plissken, iconique personnage sans foi ni loi incarné par Kurt Russell dans New York 1997 et Los Angeles 2013. Car John Carpenter, c’est aussi le vestige d’un cinéma “badass”, avide de liberté, qui valorise ces marginaux incapables de se fondre dans la masse.