« J’ai voulu à mon retour en Europe, apporter aux artistes français une intéressante nouveauté qui fut en même temps, pour eux, un souvenir de moi, après une longue absence employée tout entière à la propagation des beaux-arts dans l’autre hémisphère ». Ainsi débute le Voyage pittoresque et historique au Brésil que le peintre Jean-Baptiste Debret publia en 1834. Après une longue absence en effet, ou plutôt un exil pour l’artiste jacobin élève de David, ethnologue de la naissance d’une nation. Ce don aux artistes, les Français n’en ont pas voulu et l’on oublia bien vite Debret et son livre. Mais lorsqu’il fut traduit en portugais, un siècle plus tard, les aquarelles de Debret, exceptionnelles de précision et troublantes d’ambiguïté, formèrent l’imaginaire brésilien. C’est donc un Français qui a peint le livre d’images du Brésil. Dès lors se pose une question : comment les artistes brésiliens peuvent-ils répondre de ces images, comment peuvent-ils répondre à ces images ? En les relançant jusqu’à nous, en les détournant, en les cannibalisant ou en les carnavalisant.

Le Brésil illustré. L’héritage postcolonial de Jean-Baptiste Debret est le titre de l’exposition qui présente cette aventure visuelle et politique à la Maison de l’Amérique latine, à Paris, jusqu’au 4 octobre. L’occasion de nous y plonger, en compagnie de Lívia Melzi, photographe et vidéaste brésilienne, dont la vidéo “Après Debret” est présentée dans l’exposition ; ainsi que Jacques Leenhardt, philosophe, sociologue et directeur d’études à l’EHESS (Paris),  commissaire de l’exposition à la Maison de l’Amérique Latine et auteur de l’ouvrage éponyme paru chez Actes Sud en avril 2025.

Jean-Baptiste Debret, "Forêt vierge, les bords du Paraïba", planche 1. Jean-Baptiste Debret, « Forêt vierge, les bords du Paraïba », planche 1. – Gallica Forêt vierge du Brésil" de Clarac, Charles Othon Frédéric Jean-Baptiste, 1819 Forêt vierge du Brésil » de Clarac, Charles Othon Frédéric Jean-Baptiste, 1819 – © GrandPalaisRmn (Musée du Louvre) / Thierry Le Mage

En fin d’émission, nos deux invité.e.s sont rejoints par notre sociétaire du jour, Hortense Belhôte. Le temps de sa chronique, elle s’intéresse à la manière dont des artistes contemporains brésiliens reconstituent les « absences », des archives queer réalisées en IA de Mayara Ferrao aux récitals hommage aux cantatrices noires brésiliennes de Ligiana Costa ; en passant par le livre illustré français Fechamos paru en 2020  qui fictionne le don des œuvres par un gardien juste avant l’incendie du Musée de Rio en 2018…

Denilson Baniwa, L’anthropologue moderne est né déjà vétuste, 2019. Denilson Baniwa, L’anthropologue moderne est né déjà vétuste, 2019. – Denilson Baniwa – Maison de l’Amérique Latine G ê Viana, Culture de champignons , de la série Actualisations traumatiques de Debret, 2000 G ê Viana, Culture de champignons , de la série Actualisations traumatiques de Debret, 2000 – G ê Viana – Maison de l’Amérique Latine La Carte Postale de Mathieu Potte-Bonneville : d’un tropique l’autre

En écho à l’exposition Le Brésil illustré. L’héritage postcolonial de Jean-Baptiste Debret à la Maison de l’Amérique Latine, le philosophe Mathieu Potte-Bonneville, directeur du département Culture et création du Centre Pompidou, revient, des larmes au rire, sur ce que donnent à éprouver les portraits que Claude Lévi-Strauss ramena de son voyage chez les Nambikwara. Extrait :

« En 1994, soit quarante ans après « Tristes tropiques », Claude Lévi-Strauss publie « Saudades do Brasil » aux éditions Plon. Dans « Saudades do Brasil », les photographies que Lévi-Strauss disait ne pas aimer occupent tout l’espace, elles viennent cette fois en nombre, cent soixante-dix sept au totat, tant de visages et tant de corps par lesquels on dirait qu’il accepte de se laisser déborder. Dans cet autre livre, la vivacité des postures, des gestes, des sourires attrapés au vol chez les Nambikwara démultiplient en un sens le sentiment poignant d’une expérience révolue, cette salve de clichés interroge aussi la liberté que s’arroge l’anthropologue de voir et de faire voir. Mais c’est autre chose qui vient : une insistance plutôt qu’une innocence, une puissance collective de persévérer que la violence coloniale se chargera d’abîmer mais où pour l’heure ne se lit aucune forme de résignation. Non pas l’instant transi par l’étreinte mortelle de la photographie, mais une secousse que les images prolongent jusqu’à nous, démentant la clôture de l’histoire… » Mathieu Potte-Bonneville

Les références de l’émission :

L’exposition « Le Brésil illustré. L’héritage postcolonial de Jean-Baptiste Debret (1768-1848) » est à découvrir gratuitement à la Maison de l’Amérique latine à Paris du 30 avril au 04 octobre 2025. Une manifestation organisée dans le cadre de la Saison Brésil-France 2025. Commissariat : Jacques Leenhardt, associé à Gabriela Longma. Avec des oeuvres de : Denilson Baniwa, Anna Bella Geiger, Isabel Löfgren & Patricia Goùvea, Tiago Gualberto, Claudia Hersz, Jaime Lauriano, Lívia Melzi, Valerio Ricci Montani, Eustáquio Neves, Dalton Paula, Tiago Sant’Ana, Heberth Sobral, Gê Viana.

Bibliographie sélective :

  • Jacques Leenhardt, Le Brésil illustré. L’héritage postcolonial de Jean-Baptiste Debret (1768-1848), Actes Sud, 2025.
  • Jacques Leenhardt (dir.), Jean-Baptiste Debret : voyage pittoresque et historique au Brésil, réédition, Arles, Actes Sud, 2014.
  • Jacques Leenhardt et Pierre Kalfon, Les Amériques latines en France, Gallimard, 1992.
  • Oswald de Andrade, « Manifesto antropófago », in Revista de Antropofagia, 1, mai 1928.
  • Eduardo Viveiros de Castro, L’Inconstance de l’âme sauvage : catholiques et cannibales dans le Brésil du xvie siècle, trad. du portugais par Aurore Becquelin et Véronique Boyer, préf. de Daniel Barbu et Philippe Borgeaud, Genève, Labor et Fides, coll. « Histoire des religions », 2020
  • Gilberto Freyre, Maîtres et esclaves. La formation de la société brésilienne, trad. du portugais par Roger Bastide. Préf. de Lucien Febvre, Paris, Gallimard, 1974.

Découvrez le site de l’artiste Livia Melzi ici

Musiques et archives diffusées pendant l’émission :

  • Gilberto Freyre dans Les après-midi de France Culture en 1976
  • Extrait de la vidéo de Livia Melzi « Après Debret »
  • François Besse dans « A voix nue » sur France Culture en 2021
  • Air de « La Vie Parisienne » d’Offenbach (1866), « Je suis brésilien » par Rolando Villazon et l’orchestre national de Lille en 2017
  • Aria Bachianas Brasileiras n°5 victoria de Los Angeles Heitor Villa Lobos
  • « Bahia », Véronique Sanson 1972