Par

Gabriel Kenedi

Publié le

28 sept. 2025 à 14h20

La salle de conférence du Quai des Savoirs était littéralement bondée, mercredi 24 septembre 2025. Pourquoi une telle effervescence sous les coups de midi ? À l’occasion des 25 ans de l’association La Mêlée Numérique, le Toulousain Luc Julia, l’un des grands spécialistes de l’intelligence artificielle, donnait une keynote exceptionnelle d’une trentaine de minutes au sujet de l’IA, justement. Actu Toulouse a profité de son passage dans la Ville rose pour poser quelques questions à cet entrepreneur à succès, présenté comme l’un des inventeurs de Siri (le fameux assistant virtuel d’Apple), passé par HP, Apple, Samsung… et qui est aujourd’hui, à 59 ans, directeur scientifique du groupe Renault ! Entretien.

« Je donnais des cours d’informatique à des adultes quand j’avais 12 ans ! »

Actu : Beaucoup de Toulousains ne savent pas forcément que vous êtes originaires de la Ville rose. Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?  

Luc Julia : J’ai grandi à Pibrac ! Mes parents étaient enseignants : ma mère était directrice de l’école de Pibrac et mon père était directeur du collège ! À cinq ans, je voulais être chercheur au CNRS. Je ne sais pas ce que ça voulait dire, mais je voulais faire ça !  À neuf ans, je fabriquais des robots et bricolais déjà beaucoup. Puis, il y a eu l’avènement de l’informatique, quand j’avais 11 ans. Pour moi, ça a été une révolution ! Du jour au lendemain, je suis devenu un pirate et j’ai fait des trucs fabuleux ! Je donnais des cours à des adultes alors que j’avais 12 ans ! (il rit). Plus tard, je suis rentré au CNRS pour faire ma thèse. Ça a été une déception.

Pour quelle raison ? 

Luc Julia : Je me suis rendu compte que ce n’était pas exactement ce que je voulais. On m’avait interdit par exemple de travailler avec d’autres gens du CNRS, ce que je trouvais complètement ridicule, car pour moi, la recherche, c’est de la collaboration. 

Plus tard, je suis parti pendant quelques mois au MIT, à Boston, une grande chance ! En tant que Toulousain, le MIT (Massachussets Institute of Technology, considérée comme une des meilleures universités au monde, ndlr) au mois de juin, c’est super, mais en octobre, il faisait sacrément frais ! Je suis donc parti à Standford (au sud de San Francisco, ndlr), où le climat était beaucoup plus propice… et ça fait 32 ans que j’y suis ! 

« Apple, je ne pouvais pas refuser »

On dit de vous que vous êtes l’un des inventeurs de Siri, l’assistant vocal d’Apple. Comment on en arrive là ?

Luc Julia : J’ai fait de la recherche pendant 10 ans. On m’a laissé faire un labo que j’ai appelé Chic (Computer Human Interaction Center), pour garder une petite touche française ! On a fait des premières mondiales, des trucs incroyables, dont le premier outil de reconnaissance de parole, qu’on a appelé l’Assistant. C’était le grand-père de Siri, qu’on a développé en 1997. Après ça, j’ai fait 10 ans de start-up, car quand vous êtes dans la Silicon Valley, vous faites des start-up ! Puis 10 ans de grosses boîtes : j’ai commencé chez HP, la boîte mythique de la Silicon Valley. Malheureusement, ou heureusement, je ne sais toujours pas aujourd’hui, mon pote Adam Cheyer, avec qui on avait créé le premier Siri, m’a demandé de le rejoindre pour diriger Siri chez Apple (qui venait de racheter le concept, ndlr). C’était en 2011.

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Luc Julia (au centre), entouré de Edouard Forzy (à gauche) et de Matias Estano (à droite).
Luc Julia (au centre), entouré de Edouard Forzy (à gauche) et de Matias Estano (à droite). (©Gabriel Kenedi / Actu Toulouse)

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« On n’a pas réussi à faire exactement ce qu’on voulait »

Et vous avez accepté ? 

Luc Julia : C’était un dilemme extraordinaire, car je m’amusais bien chez HP mais en même temps, je ne pouvais pas refuser… même si ma première rencontre avec Steve Jobs, en 2003, ne s’était pas très bien passée (le fondateur d’Apple n’avait pas été convaincu lorsque Luc Julia lui avait présenté le concept de Siri, lui expliquant que c’était « bullshit » – « merdique » – en anglais, ndlar). Et je trouvais le fonctionnement d’Apple trop rigide… J’ai beaucoup hésité, et finalement, j’ai accepté. 

Comment ça s’est passé chez Apple ? 

Luc Julia : On n’a pas réussi à faire exactement ce qu’on voulait avec Siri. Et Steeve Jobs est mort, juste au moment où on sortait Siri. On est parti assez rapidement, au bout d’un peu plus d’un an, car on était bloqué au niveau technologique. On n’arrivait pas à proposer de nouvelles fonctionnalités.

« Je voulais rendre quelque chose à la France »
Luc Julia est un des spécialstes mondiaux de l'intelligence artificielle. Il était de passage dans sa ville natale, mercredi 24 septembre, à l'occasion d'une conférence organisée par La Mélée Numérique.
Luc Julia est un des spécialistes mondiaux de l’intelligence artificielle. Il était de passage dans sa ville natale, mercredi 24 septembre, à l’occasion d’une conférence organisée par La Mêlée Numérique. (©Gabriel Kenedi / actu Toulouse)

Qu’avez-vous fait après ? 

Luc Julia : Je suis alors parti chez Samsung pendant huit ans, jusqu’à la pandémie : Samsung vendait un milliard d’objets par an, mais sans les connecter. Nous, ce qu’on a fait, c’est qu’on a créé une plateforme pour pouvoir les connecter. Après 30 ans de carrière, je me suis demandé ce que je pouvais faire. J’ai été éduqué en France, j’y ai grandi, j’aime mon pays et j’y vais tout le temps, car j’ai créé des labos aussi bien pour Samsung que pour Apple, en France. D’ailleurs, j’ai aussi créé une petite start-up, Audia, à Toulouse, qui existe toujours. Je voulais rendre quelque chose à la France. J’ai rencontré Luca De Meo, qui venait d’être PDG de Renault, et ça a matché. Il m’a donné carte blanche pour faire ce que je voulais. Mon travail, c’est de mettre de l’IA dans les voitures, dans les process… Je fais ça depuis quatre ans. 

« J’adore Toulouse et je suis amoureux de cette ville ! »

Vous qui êtes installé depuis fort longtemps aux États-Unis, quel est votre regard sur Toulouse et sur la France ?

Luc Julia : Je pense que les ingénieurs français sont les meilleurs du monde. Notre éducation est fabuleuse, surtout pour ceux qui réussissent. Notre éducation est vraiment multiforme : on fait des maths, du français, mais aussi de la philosophie, de l’histoire, de la géographie… et ça, ça ouvre les chakras ! Mes enfants sont Américains et ont été éduqués là-bas, et je dois bien admettre que l’éducation est plus sclérosée. Sinon, Toulouse est un berceau intéressant, avec plein d’étudiants ! J’adore Toulouse et je suis toujours amoureux de cette ville, qui est encore enclavée, mais qui s’ouvre petit à petit. D’ailleurs, avec l’arrivée de la LGV, elle va s’ouvrir un peu plus ! Simplement, j’aimerais bien que ça ne devienne pas comme Bordeaux, une ville de Parisiens ! 

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