Le 17 septembre dernier, la Ville de Strasbourg et l’association Médecins du Monde ont signé un protocole d’intervention sur les lieux de vie informels. Un document de référence unique en France, issu de quatre ans de travail et d’expérimentation avec les nombreuses associations locales qui se mobilisent quotidiennement pour soutenir les personnes sans-abri à Strasbourg.
Hôtel de la Rue, squat Bugatti, campement de la Montagne Verte, camp de l’Étoile, camp du Heyritz : ces dernières années, de nombreux camps et squats réunissant des personnes à la rue se sont succédé à Strasbourg. Face à ce phénomène et ces situations d’extrême précarité qui sont amenées à se reproduire, la Ville de Strasbourg et l’association Médecins du Monde viennent de signer un protocole d’intervention sur ces « lieux de vie informels », en collaboration avec l’ensemble des associations concernées.
À travers l’intitulé général « lieux de vie informels », le document désigne toutes les formes d’habitat précaire comme les bidonvilles, les squats, les véhicules qui servent d’abri ou encore les campements. À Strasbourg actuellement, cela concerne notamment le campement de Krimmeri, celui de l’Église rouge et du parc des Glacis.
© Caroline Alonso Alvarez / Pokaa
« Cette réponse s’inscrit dans un cadre réglementaire », précise Nicolas Fuchs, coordinateur régional de Médecins du Monde. « D’une part, c’est une réponse aux besoins fondamentaux, ce qu’on considère comme étant le minimum acceptable, le minimum vital pour certaines personnes, et en même temps, c’est le droit, les conventions qui encadrent et prévoient cette réponse. » Le protocole s’appuie notamment sur plusieurs textes de référence, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention internationale des droits de l’enfant, ou encore la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Il a pour vocation de constituer un outil d’aide et d’accompagnement pour les collectivités, afin de leur permettre d’agir au mieux auprès des personnes présentes sur ces lieux de vie. Si Nicolas Fuchs salue la démarche volontariste de la Ville de Strasbourg, il rappelle que les municipalités sont tenues de répondre à ces besoins fondamentaux pour l’ensemble des personnes qui vivent sur leur territoire.
« On est sur une réponse basée sur des standards humanitaires, qui s’inscrit dans un cadre légal. C’est une démarche non partisane et apolitique. On pense que c’est dans l’intérêt de tout le monde », ajoute-t-il.
© Caroline Alonso Alvarez / Pokaa
Quatre ans de travail et d’expérimentation avec les associations
Ce guide voit le jour après quatre ans de travail et d’expérimentation aux côtés d’une trentaine de structures locales. « L’objectif, c’est de modéliser une intervention, mais aussi de définir le rôle de la Ville dans cette réponse. Elle répond en tant qu’intervenant social, mais elle a aussi un rôle de coordination et de mobilisation des acteurs, parce que chaque structure a un bout de la solution et une expertise particulière », explique le coordinateur régional.
Pour parvenir à apporter des réponses efficaces, il a notamment fallu mobiliser de nouveaux acteurs comme le Service eau et assainissement, ou bien des sous-traitants pour l’installation de toilettes.
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Le protocole établit trois niveaux d’intervention. D’abord une veille et un suivi des lieux de vie informels : où se trouvent les personnes ? Où et quand se forment ces lieux de vie ? Mais aussi le périmètre sur lequel ils s’étendent, et si des éléments particuliers sont à noter ou ont déjà été remontés. Ensuite, il s’agit de faire une évaluation des besoins collectifs et des conditions de vie : quel accès à l’eau potable ? Aux toilettes ? Une aide alimentaire est-elle mise en place ?
Pour la Ville, c’est l’occasion de faire constater les risques potentiels que présente un lieu de vie informel, comme certains arbres qui risqueraient de tomber sur les occupant(e)s, ou bien la proximité avec une route par exemple.
Enfin, un troisième niveau consiste en l’évaluation des situations individuelles, donc les spécificités de certain(e)s occupant(e)s en matière de santé avec, par exemple, des malades chroniques, des personnes en situation de handicap, des enfants en bas âge, des femmes enceintes ou allaitantes, des personnes âgées, etc. Autrement dit, accorder une attention particulière aux personnes qui sont d’autant plus fragilisées par les conditions de vie sur un camp. Pour Nicolas Fuchs, « c’est déjà un premier pas qui est franchi. On arrive à systématiser des choses sur lesquelles on ne se pose plus de questions ».
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Le respect des droits humains comme boussole
Les dispositions présentées dans le protocole se réfèrent à certains standards humanitaires. D’après le coordinateur de Médecins du Monde, « c’est le minimum du minimum. On répond à des besoins fondamentaux. Et ce n’est pas une démarche qui favorise l’installation de nouvelles personnes sur le site. Au contraire, on voit que dès lors qu’on apporte des réponses, c’est un facteur d’apaisement et de sécurisation du site ».
Pour établir un diagnostic social, plusieurs agent(e)s de la Ville se rendent aussi sur les campements. « Au total, une dizaine d’agents de la Ville et trois travailleurs sociaux d’Entraide Le Relais sont dédiés à la coordination d’un site. On estime à environ 700 000 euros le budget total de la mission », indique Floriane Varieras, adjointe en charge de la ville inclusive et des solidarités.
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Selon elle, Strasbourg est une des villes qui intervient le plus sur les campements, notamment sur la gestion de l’eau, des sanitaires et des déchets : « Dans de nombreuses villes, la municipalité n’intervient pas, et choisit même une réponse purement sécuritaire. »
Parmi les annexes du protocole, on retrouve également une grille d’évaluation particulièrement complète et accessible à l’ensemble des acteurs de Strasbourg, mais aussi d’ailleurs. « On a envie que cette expérience puisse être partagée et qu’elle soit facilement utilisable par d’autres municipalités », espère Nicolas Fuchs. Si d’autres initiatives existent dans certaines villes, notamment sur les squats ou les bidonvilles, l’approche globale présentée via ce protocole est unique en France.