Tout commence dans les tranchées. Sur un champ de bataille de la Première Guerre mondiale, un soldat français, laissé pour mort, lutte au corps-à-corps pour s’échapper de cet enfer. La première séquence des Sentinelles, diffusée sur Canal+ ce lundi à 21 heures, donne tout de suite le ton, celui d’une série violente, sombre et ambitieuse. « On voulait montrer l’horreur de cette boucherie », lance Guillaume Lemans, cocréateur et coproducteur de ce 8×52 minutes au Festival de la Fiction de La Rochelle.
Adaptation de la série de romans graphiques cultes éponymes de Xavier Dorison et Enrique Brecia, Les Sentinelles suit un groupe de superhéros, des Poilus devenus surhommes, censés aider les Français et leurs alliés à remporter la Première Guerre mondiale. Un mix de RoboCop et de Captain America à la sauce française.
Une histoire de super-soldats
Les Sentinelles suit Gabriel Ferraud (Louis Peres), un soldat grièvement blessé et recruté pour participer à un programme de recherche ultrasecret de l’armée française. Après l’injection d’un sérum appelé le Dyxénal, Gabriel se voit doté de capacités inédites… Plus fort, plus rapide, plus résistant qu’un être humain normal, Gabriel intègre une unité d’élite constituée de super-soldats augmentés : les Sentinelles. « C’est un voyage d’Ulysse, Gabriel espère rejoindre sa femme, Irène. Il espère rentrer chez lui », commente Guillaume Lemans.
Dans l’univers des comics américains, Captain America, soldat amélioré lui aussi par un cocktail super-héroïque, devient le porte-drapeau des valeurs démocratiques de son pays et le défenseur du monde libre contre le nazisme. La série et la BD Les Sentinelles mettent plutôt l’accent sur l’enfer que vivent ces Poilus. « Les Sentinelles, ce sont des robots de combat monstrueux, autant que des super-héros, mais aussi des cobayes et des armes de mort », abonde Guillaume Lemans.
Et de rappeler que la Grande Guerre est « a été une surprise pour tout le monde, aussi bien du côté allemand que du côté français, sur la boucherie que ça allait vite devenir. C’est la première guerre moderne, un moment de l’histoire où toute la science humaine a inventé des armes. Le lance-flammes, la grenade, le tank, c’est inventé pour 1914. Toute l’industrie européenne et la science sont au service de la mort. La grande surprise, c’est que c’est vachement efficace ! » Pour lui, « Les Sentinelles est la quintessence de cette idée de la technologie et de la course à l’armement entre Français et Allemands pour inventer des armes de mort. »
Une adaptation libre de la bande dessinée
Dès ce postulat, la série prend des libertés avec la BD qui faisait de son héros, Taillefer, une sorte de cyborg recouvert de métal, insensible aux balles et alimenté par une pile au radium. « Il y a de la trahison, parce qu’adapter, c’est trahir », assume Guillaume Lemans.
L’escouade de scénaristes, composée de Guillaume Lemans, Xabi Molia et Raphaëlle Richet, a pris beaucoup de liberté avec le matériel originel. « Les Sentinelles est un vrai récit de guerre qui se déploie vraiment sur le champ de bataille. J’ai rajouté des lignes à Paris. D’abord, on ne peut pas faire qu’un récit de guerre. On n’aurait pas eu les moyens économiques. Et puis, je voulais fusionner des genres. Donc, j’ai apporté cet élément fantastique qu’il n’y a pas dans la BD », explique Guillaume Lemans.
Deux mondes s’affrontent : celui de la science au travers le laboratoire des Sentinelles et celui du mysticisme au travers de l’étrange cabaret Les Damnés, théâtre d’événements surnaturels. Les Sentinelles se déploient comme un savant cocktail mêlant super-héros, récit de guerre, action, espionnage, surnaturel et roman-feuilleton. « Je pensais que ça fusionnerait bien et on en a discuté après avec Xavier, qui aime beaucoup la série », se réjouit Guillaume Lemans.
« Pour ne pas n’avoir que nos soldats, on a travaillé à des univers dans lesquels on pouvait lancer des personnages féminins », poursuit-il. Les Sentinelles s’appuie sur un trio de femmes : la scientifique, Marthe (Pauline Étienne), « une chercheuse, ambitieuse, avec Marie Curie en référence », l’épouse de Gabriel, Irène (Olivia Ross), « le moteur émotionnel de la saison », devenue journaliste, et Gisèle, l’attraction principale du cabaret.
Une série qui assume ses ambitions
A l’image, Les Sentinelles brasse esthétique steampunk, baroque et minutieuse reconstitution historique. « J’ai un peu bossé des éléments de l’histoire, mais je ne me suis pas du tout contraint par l’aspect historique », précise Guillaume Lemans. La série multiplie également les clins d’œil et autres références (RoboCop, Frankenstein, Jules Verne, « Star Wars », docteur Jekyll et mister Hyde, Jin-Roh) : « Il y a la pop culture, on y a tout mis, s’amuse le créateur. ll il y a évidemment une petite figure de Star Wars qui passe à droite ou à gauche, mais presque qui nous a dépassés parce qu’elle n’était pas complètement consciente. Et au montage, on s’est dit : “putain, on est liés à mort”. Entre le côté obscur de la force et Dark Vador qui passe par là ! »
Résultat ? Un univers visuel singulier et foisonnant. « On n’a aucun frein à l’imaginaire. On a un frein à la réalité de la fabrication. Notre écriture doit travailler de concert avec nos réalités, avec nos lignes de production, pour que ça s’ait de la gueule tout le temps », analyse Guillaume Lemans. Et de donner un exemple : « On avait deux batailles dans un épisode et on a décidé que finalement, il n’y en aura qu’une, mais plus spectaculaire. »
Après « sept années de travail depuis l’acquisition des droits », Guillaume Lemans assume ses ambitions : « J’avais la conviction qu’on pouvait, en réussissant à poser un univers, à le faire naître, faire beaucoup de saisons. C’est-à-dire qu’on a créé un univers qu’on peut maintenant déployer. »
Et de se féliciter : « Il y a l’exposition d’un savoir-faire français dans cette série. Nous, Français, on sait faire ça. N’ayons pas honte ! On n’est surtout pas sur la compétition avec les super-héros américains. On est légitime à le faire. » Le créateur espère que la série soit vendue à l’international : « Je parie beaucoup sur la dimension genre et fusion des genres, nos super soldats, leur look, les moyens qu’on a mis et ce design très fort, très assumé ».