Rachetés par la famille princière du Qatar il y a environ 10 ans, des immeubles ainsi qu’un ancien cinéma Pathé sont toujours désaffectés en Presqu’île de Lyon. Nous avons enquêté.
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Dans la rue Thomassin, à Lyon, plusieurs immeubles sont à l’abandon. (©Ludivine Caporal/actu Lyon)
Par
Ludivine Caporal
Publié le
5 avr. 2025 à 6h44
Une verrue dans le paysage et un sacré gâchis de logements et de commerces.
La rue Thomassin, dans le 2e arrondissement de Lyon, semble condamnée à garder une grande partie de ses immeubles désaffectés entre les numéros 14 et 24.
Depuis de nombreuses années et surtout la fermeture du cinéma Pathé Cordeliers en février 2016, dernier lieu vivant de ce lot d’immeubles, l’endroit s’est comme figé. Seules les façades se sont lentement dégradées, signe d’un abandon total du bâti pourtant idéalement situé.
Propriétés d’une riche famille du Qatar
Selon nos informations exclusives, ces immeubles ainsi que l’ancien cinéma avaient été rachetés à ANF immobilier par une société parisienne appelée « French Properties Management », qui n’est autre qu’un fonds d’investissement dédié aux acquisitions immobilières de… l’ancien émir du Qatar, Hamad Ben Khalifa Al-Thani.
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En d’autres termes, l’ensemble de ces bâtiments sont aujourd’hui, et depuis au moins plusieurs années, la propriété de la famille régnante qatarie, l’une des plus riches du monde. Mais pour quelles raisons a-t-elle racheté ce lot et pourquoi l’avoir laissé pourrir ?
Le cinéma Pathé Cordeliers est resté ouvert de 2008 à 2016. (©Capture d’écran Google Street View)
Neuf ans plus tard, rien n’a bougé. (©Ludivine Caporal/actu Lyon)
Plus loin, au numéro 14 et 16 de la rue, une affiche de chantier datant de 2012 lorsqu’il y avait l’ancien propriétaire, ANF immobilier, est même encore visible. (©Ludivine Caporal/actu Lyon)
Un projet d’extension du Printemps qui n’a pas abouti
Selon nos informations, le projet initial était en fait d’agrandir le magasin Printemps, lui aussi propriété des Qataris et situé au bout de la rue Thomassin, en s’assurant le rachat des bâtiments voisins, mais aussi de recréer des commerces et des bureaux.
Si les propriétaires possédant les logements du numéro 26, soit l’immeuble situé pile à côté du Printemps, sont les seuls à avoir refusé de vendre à la famille princière, cela ne l’a pas empêchée d’imaginer tout de même son grand projet. Elle a présenté un plan des futurs travaux aux Architectes des bâtiments de France et à la mairie de Lyon lors de plusieurs réunions entre 2021 et 2023.
Les voisins directs du magasin Printemps ont refusé de vendre aux Qataris. (©Ludivine Caporal/actu Lyon)« Plus de son et plus d’image du propriétaire depuis mi 2023 »
Mais, depuis, l’ancien émir du Qatar semble tout simplement avoir renoncé à faire quoi que ce soit des murs qu’il possède et n’est ainsi jamais allé jusqu’au dépôt de permis de construire.
On n’a plus de son et plus d’image du propriétaire depuis mi-2023. Il a cessé toute communication avec nous sans que l’on sache réellement pourquoi. Étant donné que nous sommes dans une zone patrimoniale, et parce qu’on n’accorde pas de traitement de faveur, on lui a mis sur un plateau toutes les règles à respecter, ce qui a eu l’air de moins l’intéresser. Mais c’est un scandale qu’il laisse cet endroit vide !
Raphaël Michaud
Adjoint à l’urbanisme à la Ville de Lyon
À qui la faute ?
Interrogé à ce sujet, Pierre Oliver, maire LR du 2e arrondissement de Lyon qui avait participé à l’une des premières réunions entre le fonds d’investissement et la Ville, remet la faute sur la majorité écologiste en assurant que celle-ci aurait voulu « imposer » la plantation d’un arbre sur un tènement, ce qui n’aurait pas plu au propriétaire.
« Ça ne s’est absolument pas passé comme ça », se défend Raphaël Michaud. « Cette plantation d’arbre fait partie de l’avis des Architectes des bâtiments de France et celui-ci doit être strictement suivi, nous n’imposons rien. De plus, le propriétaire ne nous a jamais mentionné ce point précis comme étant un problème », balaie l’élu.
Une possible réquisition de l’État ?
Si le projet semble donc au point mort, l’option de vendre à un autre propriétaire ne semble pas pour autant sur la table, empêchant la création de nombreux logements et commerces. De temps à autre, un agent de sécurité est d’ailleurs mandaté pour garder un œil sur le lieu privé et s’assurer que personne ne pénètre à l’intérieur.
C’est pourquoi la Ville a fini par suggérer une réquisition de l’État.
« Nous avons envoyé le dossier à la préfecture du Rhône pour qu’elle envisage de réquisitionner ces biens qui se situent en zone tendue. C’est dommage si ça devait se passer comme ça, mais nous n’avons pas d’autres choix pour le moment », conclut Raphaël Michaud.
Odeurs, nuisibles…
Il faut dire que la situation dure maintenant depuis trop longtemps et cause également d’autres soucis.
« Ça pue, il y a souvent des odeurs qui s’échappent de l’immeuble. Il y a des souris, des rats, des gens qui squattent un peu… C’est vraiment dommage pour la ville et les touristes », commente Antonio Morreale, dont le célèbre restaurant italien donne sur ces bâtiments abandonnés.
La terrasse du restaurant italien Antonio e Marco donne sur les bâtiments abandonnés. (©Ludivine Caporal/actu Lyon)
« J’ai installé ma terrasse devant et j’essaie d’y mettre un peu de vie, j’ai rajouté des fleurs, je nettoie le sol… Heureusement que j’ai des clients plutôt jeunes qui s’intéressent davantage à la qualité de la nourriture qu’au cadre, mais c’est sûr qu’une certaine clientèle ne s’installe pas dehors. J’ai déjà eu des réflexions », poursuit le restaurateur.
Contactée par notre rédaction, la société « French Properties Management » n’a pas souhaité communiquer à ce sujet et se refuse à tout commentaire.
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