« Parfois, la parole politique devrait être un peu moins ambitieuse, et peut-être plus concrète », explique Sébastien Saint-Pasteur, député PS de Gironde, rapporteur de la commission parlementaire sur les défaillances des politiques publiques dans la prise en charge de la santé mentale et du handicap, une commission présidée par la députée Renaissance du Maine-et-Loire Nicole Dubré-Chirat. Il y a quelques jours, partout en France, plusieurs de ses membres ont réalisé des visites de terrain pour mesurer l’écart entre les intentions affichées et le réel.

« Les prises en charge sont très complexes, la résultante d’un manque de moyens mais aussi d’un manque de pilotage des politiques »

L’an dernier, Michel Barnier, alors Premier ministre, avait fait de la santé mentale une Grande Cause nationale. La commission devra rendre ses conclusions d’ici à la fin 2025. Avant même cette échéance, ce constat est là : « Le compte n’y est pas, estime le député. Les prises en charge sont très complexes, la résultante d’un manque de moyens mais aussi d’un manque de pilotage des politiques. Le handicap et la santé mentale souffrent des mêmes maux, c’est pourtant un sujet majeur pour les Français. »

Une personne sur quatre va souffrir d’un trouble mental à un moment de sa vie. Un salarié sur quatre se dit en mauvaise santé mentale. Les handicaps, visibles ou invisibles, touchent 6 millions de familles.

Au culot

À l’institut médico-éducatif (IME) pour jeunes autistes de Gradignan (33), une mère de famille explique comment elle a obtenu la prise en charge de sa fille : « Un parcours du combattant : je l’ai obtenue au culot, livre-t-elle au parlementaire. La ministre de la Santé était en visite à Bordeaux, je lui ai barré la route et expliqué ma situation. Elle s’est engagée à traiter notre cas. Quelques jours plus tard, j’avais une place. J’en suis soulagée mais ce n’est pas normal. »

Une autre mère reconnaît ne pas avoir eu besoin d’en arriver à cette extrémité : « J’ai eu de la chance, mais ça n’a pas été simple. » L’une et l’autre identifient déjà le point noir des années à venir : la prise en charge pour leur enfant une fois qu’il sera devenu adulte. En attendant, l’IME peine lui aussi à recruter : il recherche un psychiatre et un médecin généraliste.

Plus cher

Ce qui ramène à un autre sujet-clé : le manque de moyens. « Nous sommes bien conscients de l’état de nos finances publiques, mais il y a des mesures qui peuvent être appliquées à moyens constants », explique Sébastien Saint-Pasteur. Ce qu’il appelle les « coûts évités ».

Dans son viseur, les CNR, soit les crédits non reconductibles alloués chaque année par les agences régionales de santé : « Le paradoxe, c’est qu’ils sont reconduits chaque année, cela prive les différentes institutions de visibilité et les contraint à recruter en CDD, en intérim. Cela place les établissements, comme les employés, dans une situation impossible : aucune inscription dans la durée pour des métiers qui nécessitent des formations. Et au final, cela coûte 20 % plus cher… »

Neuf heures aux urgences

Autre source d’amélioration, « un choc de prévention ». Illustration avec le numéro d’appel 31 14, plateforme de prévention du suicide installée à l’hôpital Charles-Perrens, à Bordeaux, et ses 7 000 appels traités en 2024 : « 200 000 tentatives de suicide en France, 74 000 passages aux urgences, pour 9 200 décès. Coût total : 24 milliards d’euros », détaille le docteur Chantal Bergey, cheffe d’un pôle de psychiatrie d’urgence au centre hospitalier.

Après les coûts évités, les coûts évitables : « Des dispositifs comme celui-là permettent d’agir sur le volet prévention, qui est fondamental, et éviter l’hospitalisation. Cela permet, en bout de chaîne, de soulager des urgences psychiatriques sous très fortes tensions », constate le député. La psychiatre illustre le propos : « On assiste à une explosion des recours aux urgences depuis 2020. Nous avons eu une journée noire le jour où le gouvernement de Michel Barnier a été censuré. Une journée et une nuit en enfer : 50 passages dans la journée, on avait encore 19 patients à 18 heures. Dans la salle d’attente, on indiquait neuf heures d‘attente pour voir un psychiatre. Les gens sont restés. »

Il faudrait « une approche médico-économique au lieu d’une gestion purement comptable »

Au terme d’une matinée d’échanges, Sébastien Saint-Pasteur constate : « Je mesurais peut-être insuffisamment l’incroyable mobilisation des professionnels, leur capacité à se réinventer. La santé mentale a été érigée en priorité il y a un an, mais nous ne sommes pas au rendez-vous. » Des pistes se dégagent : travailler sur la prévention, et la nécessité d’allouer des moyens adéquats, mais aussi d’évaluer les dispositifs. « Cela nécessite un changement d’approche. Mettre de l’argent aujourd’hui peut éviter des dépenses à moyen terme. Il faut une approche médico-économique au lieu d’une gestion purement comptable. C’est un sujet sur lequel on peut trouver un consensus à l’Assemblée », assure le député.