« Stups » est un film-documentaire d’Alice Odiot et Jean-Robert Viallet. (Durée : 1h26).
L’histoire
Une grande porte en métal qui coulisse pour laisser entrer les fourgons de la police. Des hommes en sortent, avec leurs histoires. Des murs, des geôles, des escaliers en pierre, des salles d’audience, des coulisses, des larmes, des cris, des regards.
Le tribunal de Marseille est débordé par les affaires de stupéfiants. Ceux qui sont jugés là sont les gérants d’une économie du chaos. Ce sont aussi les petits travailleurs du shit, des enfants qui ont grandi seuls. En contrebas, le port, au loin, les quartiers périphériques, la ville bouillante, remplie de ses blessures. De ses beautés aussi…
Notre avis
Journalistes de formation et collaborateurs de longue date, Jean-Robert Viallet et Alice Odiot avaient respectivement reçu en 2010 (La Mise à mort du travail) et 2012 (Zambie, à qui profite le crime) le prix Albert Londres de l’audiovisuel, avant de s’intéresser au cinéma documentaire en 2019/2020 avec Des hommes, une immersion dans la prison des Baumettes à Marseille. Leur nouvelle livraison, Stups, leur donne l’occasion de poursuivre leur travail sur le système judiciaire, puisqu’il s’agit de montrer des extraits de procès impliquant essentiellement des mineurs ou jeunes adultes soupçonnés d’être mêlés au trafic de stupéfiants dans la cité phocéenne.
Plutôt que de s’intéresser aux gros bonnets, les cinéastes filment ceux qui sont en bas de l’échelle du crime (guetteur, nourrice, livreur…) et essaient de déterminer pourquoi ils se retrouvent pris dans cet engrenage qui peut s’avérer mortel. Sans prendre le parti des accusés (il ne s’agit pas de les plaindre ou de dire que leur condition de vie précaire justifie leurs actes) ni celui du juge, le binôme se positionne comme un observateur avisé, laissant les mots parler d’eux-mêmes.
D’un bout à l’autre, on sent l’école Raymond Depardon, avec une volonté farouche d’éviter la facilité des témoignages face caméra et des fastidieux commentaires en voix off. La technique, qui consiste à poser la caméra et voir ce qui s’y passe, avec un travail méticuleux fait au montage, est d’autant plus payante qu’elle invite les spectateurs à se faire leur propre idée sur chaque cas.
On est aussi frappé par certaines décisions dans les verdicts, telles des interdictions pour certains coupables de mettre les pieds, pendant plusieurs années, à Marseille. Une mesure faite pour éviter les récidives et les protéger des représailles de réseaux à qui ils doivent de l’argent… Tout le symbole de la méfiance vis-à-vis d’un système aussi dangereux que rodé, très difficile voire impossible à démanteler, même si le chiffre de narchomicides a nettement chuté dans la ville, passant de 49 à 24 morts entre 2023 et 2024. Le signe d’un combat de tous les instants.
Note 3/5 Documentaire (France, 1h26), d’Alice Odiot & Jean-Robert Viallet