Va-t-on assister dans les semaines à venir à de grandes manifestations de retraités ? La plupart sont en tout cas vent debout contre la volonté prêtée au gouvernement de remettre en cause la déduction fiscale de 10 % sur les revenus dont ils bénéficient au même titre que l’abattement pour frais professionnels des actifs. Et les syndicats et la plupart des partis, où qu’ils soient sur l’échiquier politique, sont sur la même longueur d’onde, du moins publiquement.

De quoi s’agit-il exactement ?

Les pensions de retraite bénéficient d’une déduction de 10 % automatiquement appliquée par le fisc. Un avantage qui s’applique également aux pensions de réversion, d’invalidité et alimentaires. L’abattement de 10 % ne peut pas être inférieur à 450 euros pour chacun des titulaires de pensions et ne peut dépasser 4 399 euros par foyer.

Concrètement, un couple de retraités qui touche 1 800 euros de retraite par mois chacun voit son revenu fiscal de référence passer de 43 200 euros par an à 38 880 euros. Soit un impôt sur le revenu net de 1 068 euros. Sans l’abattement fiscal de 10 % sur les pensions, son imposition monterait à… 1 760 euros.

Quand a-t-il été mis en place et pourquoi ?

La mesure a été introduite le 6 octobre 1977 dans le budget 1978 par Maurice Papon, alors député du Cher et rapporteur général de la Commission des finances. Ce dernier sera condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l’humanité pour son rôle dans la déportation de juifs sous l’Occupation comme secrétaire général de la préfecture de Gironde.

Le projet initial de budget ne prévoyait qu’une déduction l’année du départ en retraite pour compenser la chute de revenus et le décalage d’un an de l’imposition. L’amendement Papon étend aux titulaires d’une pension, dans la limite de 5 000 francs à l’époque, l’abattement annuel de 10 % de l’impôt sur le revenu consenti aux salariés pour leurs frais professionnels.

Parmi les justifications avancées à l’époque : les frais de santé plus importants supportés par les seniors, l’inflation galopante. Et, surtout, l’impossibilité pour les retraités de sous-déclarer leurs revenus puisque directement versés par les caisses de retraite. En clair : le législateur accorde un avantage fiscal pour compenser… Le fait de ne pas pouvoir frauder. La mesure sera pérennisée en 1978 par le Premier ministre Raymond Barre, jusqu’à aujourd’hui.

Qui en profite et combien ça coûte ?

Selon l’annexe au budget 2025 consacrée aux dépenses fiscales, 15 millions de ménages de retraités vont profiter de cet amendement. Même si pour beaucoup, cela n’a pas d’impact puisqu’ils ne sont pas imposables.

Le coût de cette niche fiscale pour les finances publiques est loin d’être négligeable puisqu’il devrait atteindre 4,96 milliards d’euros en 2025. Soit tout de même 500 millions d’euros de plus en deux ans.

Pourquoi le gouvernement envisage de supprimer cet abattement ?

Interrogée sur la possible suppression de cette déduction fiscale accordée aux retraités, la ministre chargée des Comptes publics est restée évasive. Sans la mettre de côté, loin de là. « Je pense, à titre personnel, qu’on ne peut pas indéfiniment mettre à contribution les actifs pour financer les nouvelles dépenses sociales liées au vieillissement, a fait valoir Amélie de Montchalin au Parisien-Aujourd’hui en France. Ce n’est pas votre âge qui doit définir votre contribution mais aussi les moyens dont vous disposez. »

Faire une croix sur cet avantage fiscal, comme le propose le Medef, permettrait de récupérer instantanément 5 milliards. Sur un total de 40 milliards que cherche l’exécutif pour boucler son budget 2026. Au rayon des arguments mis en avant par les défenseurs de cette mesure d’économie, on retrouve l’incongruité d’accorder aux retraités une déduction fiscale comparable à l’abattement professionnel pour les actifs.

Surtout, depuis l’instauration de l’abattement de 10 % en 1977, la situation a bien changé. Avec l’instauration du prélèvement à la source en 2019, les seniors ne subissent plus le choc fiscal dû au décalage d’imposition l’année de leur départ à la retraite. Leur niveau de vie est aussi légèrement supérieur à celui des actifs, selon le Conseil d’orientation des retraites, même s’il devrait tomber à 83 % d’ici 2070. Et le taux d’épargne des 70 ans et plus atteint 25 %, contre 17 % pour l’ensemble des ménages.

À l’inverse, les défenseurs de la déduction de 10 % pour les seniors estiment que la suppression serait injuste pour des personnes qui ont cotisé toute leur vie et impacterait des retraités même modestes.

Quelle serait la conséquence concrète de cette suppression ?

Comme évoqué par l’économiste Pierre Madec dans une note du 9 janvier publiée par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), l’abrogation de cette déduction fiscale n’aurait pas de conséquences pour tous les retraités. « Contrairement au décalage de la revalorisation des pensions, la suppression de l’abattement fiscal de 10 % ne toucherait pas les retraités les plus modestes, qui sont généralement moins nombreux à être imposables », explique-t-il.

Et l’impact serait d’autant plus fort que les ménages sont riches puisque les 5 % de foyers de retraités les plus aisés verraient leur imposition augmenter de 850 euros en moyenne.

Mais attention à l’effet domino de la mesure. Supprimer cette déduction fiscale pour les retraités ferait basculer 500 000 foyers dans l’impôt. Et 8,5 millions de ménages verraient leur imposition augmenter. Et le revenu fiscal de référence de tous les retraités serait en hausse, remettant en cause pour certains l’accès à certains avantages fiscaux (taux de CSG réduits…) ou aides sociales (MaPrimeAdapt…).

Il reste maintenant à savoir si le gouvernement osera s’attaquer à cet abattement qui profite à 15 millions de retraités, les plus assidus pour accomplir leur devoir électoral.