Courrier international : Nicolas Sarkozy, condamné à cinq ans de prison, s’en est furieusement pris à ses juges dans le Journal du dimanche : “Toutes les limites de l’État de droit ont été violées.” Cela vous a-t-il surpris ?

Alexander Hurst : Oui et non. Dans nos démocraties contemporaines, on observe la tendance où chacun, plutôt que de respecter les institutions politiques, essaie d’en tirer avantage. C’est compréhensible d’un point de vue individuel. Mais quand c’est collectif, cela nuit à leur légitimité. Ce qui me choque, c’est de voir la France suivre un peu la voie américaine. Tout le monde devrait être outré de voir un ancien président attaquer la justice française, une institution qui, sans conteste, travaille de manière impartiale.

Selon les sondages, la majorité des Français considère qu’il y a un problème de corruption dans la classe politique. Le nombre de personnalités politiques jugées et condamnées corrobore leur constat. Je crois qu’il existe un désir parmi les Français de voir la justice faire le ménage. Qu’elle soit attaquée parce qu’elle fait ce travail est choquant.

Pour la seconde fois en un an, après le jugement de Marine Le Pen, des juges ont reçu des menaces de mort et les critiques monopolisent l’espace médiatique. La justice est-elle menacée ?

Menacée dans le sens où le jeu politicien qui consiste à remettre en cause la justice grignote sa légitimité et sa stabilité. Au bout du processus, on arrive à un État où elle a peur d’agir. Prenez l’exemple de [l’ancien ministre de la Justice américain] Merrick Garland, qui aurait pu intenter un procès contre Donald Trump [en 2022] et qui ne l’a pas fait. Pourquoi ? Parce que cette action aurait été rejetée par une partie de la population, qui ne voit dans un procès qu’une manière pour l’État de s’en prendre aux opposants politiques. C’est d’ailleurs ce qui se passe aujourd’hui aux États-Unis, avec l’inculpation de [l’ancien directeur du FBI] James Comey [accusé par Donald Trump d’avoir menti devant le Congrès].

Là est tout le problème. Car les comportements criminels existent et doivent être empêchés. Pour les dissuader, l’État doit maintenir un appareil judiciaire fort. Mais une fois qu’on commence à politiser la justice, elle perd sa légitimité, elle se trouve figée. Et la population rejette ses verdicts quoi qu’il arrive. La France n’en est pas là. Mais il ne faut pas ignorer le danger.

Emmanuel Macron est intervenu dans le débat, jugeant les menaces contre les juges inadmissibles. Est-ce suffisant ?

Il devrait être rejoint par toute la classe politique, qui doit condamner d’une seule voix ces menaces en les qualifiant d’inacceptables.

Si vous deviez décrire l’État de droit en France en trois mots ?

Mis à l’épreuve, responsable, fonctionnel.

Comment voyez-vous évoluer les relations entre justice et politique avant 2027 ?

Cela dépendra des événements, comme l’inéligibilité de Marine Le Pen, ou d’autres scandales potentiels qui pourraient sortir. Mais les tensions se multiplient : Jean-Luc Mélenchon en 2018 avec son “La République c’est moi”, Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy… J’espère que la justice va faire son travail. La corruption est un mal qui s’installe petit à petit et entame la confiance des citoyens. Peut-être est-ce même bon signe que des tensions existent, cela signifie que la justice fonctionne.