Imposer un plafond de consommation électrique aux centres de données, la proposition du Shift Project détonne dans le débat public. Le think tank fondé par le médiatique ingénieur Jean-Marc Jancovici publie ce mercredi premier octobre un rapport intitulé «Intelligence artificielle, données, calculs : quelles infrastructures dans un monde décarboné». «Ce que l’on dit est en rupture avec ce que l’on peut entendre», reconnaît Hugues Ferreboeuf, chef de projet «Numérique», de l’association. Ce n’est rien de le dire. En février dernier, le président Macron s’enorgueillissait, lors d’un sommet dédié à l’intelligence artificielle au Grand Palais, à Paris, des plus de 100 milliards d’investissements à venir pour booster le secteur dans le pays.
Dans l’Hexagone, les centres de données, ces gigantesques hangars climatisés pour permettre le fonctionnement continu de centaines de serveurs informatiques, représentent 2,5 % de la consommation nationale d’électricité, un chiffre en hausse de 7 % par an et qui pourrait quadrupler d’ici à 2035, principalement en raison de l’essor de l’intelligence artificielle, écrit le Shift. Cette explosion «n’est, à notre connaissance, pas prise en compte dans les scénarios de planification énergétique», souligne l’association.
L’Irlande offre un exemple des conséquences d’une implantation rapide et non maîtrisée de centres de données. Sur l’île, ces bâtiments consomment 20 % de l’électricité disponible. L’opérateur du réseau électrique a annoncé son incapacité à raccorder de nouveaux projets dans la région de Dublin. Qu’à cela ne tienne, les data centers ont demandé leur raccordement au gaz pour faire tourner des générateurs… aux énergies fossiles. Ce qui permet de surligner le principal problème pointé du doigt par le Shift Project : le développement immodéré de l’IA n’est pas compatible avec une trajectoire bas-carbone.
Que ce soit au niveau mondial, européen, national ou local, l’IA générative, type ChatGPT, et les centres de données dont elle a besoin pour fonctionner, entraînent des conflits d’usage sur l’électricité verte. Les besoins de consommation qu’elle engendre rendent caduques les efforts d’électrification des autres secteurs très émetteurs de gaz à effet de serre. Pourtant, à Marseille par exemple, les pouvoirs publics encouragent largement l’installation de ces fermes à serveurs.
«On ne peut pas faire l’économie d’un débat citoyen et informé sur la place du numérique et de l’IA dans nos sociétés», martèle Hugues Ferreboeuf, qui défendait déjà la même position sur le déploiement de la 5G et de la 6G. La proposition du Shift, dans ce cadre, serait de définir – et imposer – un plafond de consommation électrique compatible avec la transition écologique. Les pouvoirs publics ont un réel rôle à jouer dans le secteur. «Le phénomène est tiré par l’offre», enfonce le chef de projet, pour qui il est possible d’encadrer l’offre d’un service dont personne ne se servait tant qu’il n’existait pas. «Mais il faut savoir résister à ce que proposent les acteurs du secteur», poursuit-il. Qu’importe l’ampleur de leurs investissements dans le pays.