M. Louis Maurin avait été nommé conservateur du musée d’Aquitaine en mars 1980. Il arrivait à une époque-clé où il s’agissait à la fois d’animer la vieille structure du cours d’Albret et de mettre au point de nouvelles installations, prévues en lieu et place de l’ancienne fac des lettres, cours Pasteur. Le projet municipal voyait dans ce remue-ménage des collections antiques une mise en valeur exceptionnelle d’un patrimoine régional d’une richesse étonnante, mais hélas, fort peu connu du grand public.

Universitaire reconnu pour ses qualités scientifiques et humaines, M. Maurin – qui avait précédemment sérieusement dépoussiéré le musée de Saintes – semblait à l’évidence être l’homme d’une telle situation. Et il est vrai que sa compétence permit au musée moribond de connaître une ultime jeunesse (notamment grâce aux expositions sur les fresques gallo-romaines en Aquitaine et sur l’art des Celtes) tandis que d’un autre côté il élaborait les plans d’une future « maison pour un grand Bordeaux antique », dont à l’avance on vantait la qualité et les mérites. Or, un an avant la fin prévisible des travaux du musée du cours Pasteur, Louis Maurin vient de démissionner…

L’article de « Sud Ouest » faisant l’état des lieux des travaux au musée d’Aquitaine, le 6 avril 1983.

L’article de « Sud Ouest » faisant l’état des lieux des travaux au musée d’Aquitaine, le 6 avril 1983.

Archives Sud Ouest

Les silences du conservateur…

Pour quelle raison ? L’intéressé n’a pas voulu répondre. « Je ne vous dirai rien, je n’ai rien à dire de plus, sinon que ce que vous savez déjà : je quitte ce poste et je réintègre l’université. » Au musée d’Aquitaine, ses collaborateurs sont tout aussi discrets. La seule certitude, que M. Maurin lui-même confirme, c’est que dans quelques jours il va retrouver son poste de professeur d’antiquité nationale. Ce qui n’est d’ailleurs pas pour déplaire à ses collègues de la fac de Talence, ravis de le retrouver : « Pour nous c’est un bel héritage, commentait hier l’un d’eux, qui ajoutait que l’ex-conservateur — qu’il connaît bien — avait vécu un été pénible, physiquement et moralement. On a dû lui faire bien des misères pour qu’il en arrive à démissionner. Mais nous ne savons toujours pas exactement pourquoi. Il ne nous l’a pas dit. Il doit y avoir une belle magouille là derrière… »

… et les déclarations du directeur

Pour en savoir plus dans ce flou assez peu artistique, il fallait demander quelques explications à M. Jean Lavigne, directeur de l’action culturelle à la ville de Bordeaux. Il n’est pas dit que sa déclaration apportera une lumière suffisante pour comprendre la décision de M. Maurin : « C’est un problème interne au fonctionnement du musée, un problème de je ne sais plus quelle nature. Pas financier ni d’incompatibilité. Sans doute un problème entre quelques-uns et lui. Rien de sérieux en tout cas… » Comprenne qui pourra.

Mais le directeur municipal, à défaut d’être clair, exprime quelques gerbes de regrets : « C’est vraiment dommage : M. Maurin est un scientifique remarquable, un véritable savant. Peut-être un peu fragile psychologiquement, mais quelqu’un de très bien. Nous le regrettons é-nor-mé-ment. »

L’exposition sur l’art celtique au musée d’Aquitaine à Bordeaux, le 24 février 1984.

L’exposition sur l’art celtique au musée d’Aquitaine à Bordeaux, le 24 février 1984.

Archives Michel André / Sud Ouest

M. Lavigne se reprend : « Nous sommes actuellement en négociation avec la direction des Musées de France pour obtenir un intérimaire qui serait en place jusqu’à la fin de la première tranche des travaux du nouveau musée, en octobre 1985. Il y aura d’ailleurs à cette époque une exposition sur le port de la lune, de M. Maurin justement. Quant au musée tout entier, il devrait ouvrir ses portes au premier trimestre 1986. De toute façon il n’y aura pas de problème. »

Voire. Du côté de l’université on dit encore : « Notre ami Maurin est soutenu par la direction des Musées de France. Il n’est pas dit qu’on lui trouve un successeur demain matin ! »

Chez lui à Latresne, Louis Maurin tente d’oublier quatre années d’une histoire à peine ébauchée. Pour ce Bourguignon de 49 ans, unanimement reconnu et estimé de ses pairs, il doit être pénible de quitter aujourd’hui l’antiquité dans… l’ambiguïté.