Depuis fin juin, un basketteur russe est enfermé à la prison de Fresnes (Val-de-Marne). Son nom : Daniil Kasatkin. La France ne lui reproche rien, mais les États-Unis le soupçonnent d’avoir fait partie d’un réseau de hackers et demandent son extradition. Sa défense clame son innocence et exige sa remise en liberté immédiate alors qu’il risque jusqu’à vingt ans de prison outre-Atlantique.
Qui est Daniil Kasatkin ?
Pour trouver le CV du meneur de jeu professionnel âgé de 26 ans, il faut fouiller un peu. Il est né à Ivanovo, une ville à trois heures de route au nord-est de Moscou, en janvier 1999. À part une année d’études à Philadelphie à la Penn University, en 2019, il a effectué toute sa carrière dans la capitale russe au MBA Moscou, qui évolue en VTB Ligue, le championnat local.
« Il s’est pris de passion pour le basket tout jeune en regardant le film Space Jam, avec Michael Jordan et Bugs Bunny. Son agent lui a trouvé un lycée aux États-Unis, puis il a été pris dans une université en Pennsylvanie avec une bourse de sport », a raconté sa compagne à un journal russe après son arrestation.
Sur la scène internationale, le meneur blond d’1m99 a disputé un Euro des moins de 18 ans (2018) et des moins de 20 ans (2020). Il suit en parallèle de sa carrière des études en management dans la communication.
Que s’est-il passé le jour de son arrestation ?
Samedi 21 juin, avec sa compagne, Anna Kulyashova, Daniil Kasatkin arrive à l’aéroport de Roissy (Val-d’Oise) depuis Moscou via une escale à Istanbul. Le couple vient de se fiancer et prévoit de passer quelques jours en France avant de rejoindre des amis en Croatie. « C’était notre première fois à Paris pour tous les deux », rappelle Anna Kulyashova.
À la sortie de l’avion, le basketteur est arrêté par la douane, pas sa compagne. Il a raconté ces moments au journal moscovite Kommersant début juillet.
« Nous avons calmement remis nos passeports, pensant qu’il s’agissait d’une formalité, relate-t-il. Dès que les policiers ont vu mon passeport, ils m’ont pris à part, ne me laissant même pas dire au revoir à Anya. Ils m’ont immédiatement fouillé, menotté, mis dans une voiture et conduit au commissariat le plus proche. Ils m’ont informé que j’étais détenu à la demande d’un autre pays et m’ont placé dans une cellule. Il n’y avait qu’un trou dans le sol et un matelas. »
Où est le basketteur depuis le 21 juin ?
Depuis ce jour, il est détenu à la prison de Fresnes. Il a raconté son séjour dans le même journal. « Je suis sûr qu’il existe des prisons pires dans le monde. C’est ma première fois, je n’ai aucun point de comparaison. Cependant, on me dit qu’elle est une des pires de France. Il est difficile de décrire brièvement toutes les conditions de détention. »
Il poursuit : « On me nourrit deux fois par jour. Ce n’est pas suffisant pour un corps d’athlète. La nourriture est pauvre en protéines. Même avec un entraînement quotidien, il est difficile de maintenir mes muscles. Je fais de mon mieux. Je marche une fois par jour, pendant environ une heure et demie. L’aire de marche est une simple boîte d’environ 10 m de long sur 6 de large. »
Que lui reprochent les États-Unis ?
La justice américaine le soupçonne d’avoir fait partie d’un réseau de pirates informatiques ayant, via un rançongiciel, attaqué plus de 900 entreprises, associations et entités gouvernementales états-uniennes entre 2020 et 2022. « En deux mots, expose son avocat, Me Frédéric Bélot, M.Kasatkin a un mandat d’arrêt pour des faits qui sont qualifiés par les autorités américaines, de complot en vue de commettre une fraude informatique. C’est la première infraction. La deuxième est complot de fraude informatique. »
Les États-Unis ne reprochent pas au meneur de jeu d’être un hacker russe. « On lui reproche d’avoir été un négociateur », poursuit Me Bélot. Pour faire simple, le négociateur est celui qui demande des rançons aux victimes de piratage informatique.
L’enquête pénale, qui dépasse le simple cas de Daniil Kasatkin, a été ouverte par un juge du Tennessee. Pour ces faits, s’il est extradé aux États-Unis, le basketteur risque vingt ans de prison.
Quelle est sa ligne de défense ?
« M. Kasatkin clame évidemment son innocence, poursuit Me Bélot. Il est lui aussi une victime de hackers. Je peux vous assurer qu’il n’a pas de savoir technique en matière d’informatique. Ce n’est pas son métier, c’est un basketteur professionnel et un étudiant, il n’a pas le temps de passer ses nuits devant un clavier. »
Selon l’avocat, « son tort est seulement d’avoir acheté un ordinateur d’occasion sans le nettoyer ». « L’ordinateur qu’il a acheté d’occasion a servi aux hackers avant qu’il en prenne possession et n’a pas été nettoyé. Soit un virus y a été implanté et les hackers s’en sont servis à distance sans qu’il s’en aperçoive », pour effectuer leurs méfaits.
Quelle est la suite de la procédure ?
Ce 1er octobre, Me Frédéric Bélot a demandé la libération immédiate de son client devant la justice à Paris. Le traité bilatéral d’extradition entre la France et les États-Unis stipule que la demande d’extradition complète doit être communiquée dans un délai de soixante jours à partir de l’arrestation provisoire. Le délai a expiré depuis le 23 août.
« Et nous n’avons pas un dossier complet », plaide le défenseur, arguant que des traductions manquent. « Le texte de loi est très clair. Lorsque le dossier n’est pas complet dans ce délai, il doit y avoir remise en liberté », a martelé Me Bélot, qui parle russe avec son client.
L’audience a été suivie par le consul de Russie en France et un journaliste de l’agence de presse officielle russe Tass, signe que Moscou porte attention à ce dossier.
Le président de la chambre a renvoyé l’examen de cette demande au 8 octobre. « M. Kasatkin est innocent des faits qui lui sont reprochés et pour lesquels il est poursuivi aux États-Unis, insiste son avocat au Parisien. Il sait qu’il sera blanchi et remis en liberté. Le problème est un problème de temps dans le cadre de la carrière d’un sportif professionnel. Avec son incarcération, il ne s’entraîne pas, ne travaille pas, ne s’entretient pas physiquement. C’est un souci dans la carrière d’un sportif, qui ne dure pas éternellement. »
Le 3 juillet, au début de sa détention, le MBA Moscou club, avec lequel il a joué 172 matchs et été deux fois médaillé de bronze à la Coupe de Russie, a indiqué qu’il ne faisait plus partie de son effectif.