« Il n’y aura pas de ticket gagnant pour s’établir au Royaume-Uni, les gens devront le mériter. » Cette phrase, issue d’un communiqué officiel diffusé mercredi 1er octobre au soir, résume la philosophie de la nouvelle politique migratoire britannique. Après avoir gelé les demandes de regroupement familial le mois dernier, Londres a annoncé qu’il allait purement et simplement supprimer ce mécanisme. Ce dispositif permettait jusqu’ici aux proches de réfugiés déjà installés dans le pays de les rejoindre.

Mais pour Keir Starmer, il s’agit désormais de mettre fin à ce qu’il décrit comme un système déséquilibré, jugé trop généreux. Ce jeudi 2 octobre, lors d’un sommet européen à Copenhague, le Premier ministre devrait présenter les contours détaillés de son plan migratoire. L’exécutif veut inscrire cette réforme dans une stratégie plus large de durcissement de la politique d’immigration, alors que le Royaume-Uni fait face à des arrivées record et à une pression politique grandissante de l’extrême droite.

Au cœur de cette stratégie, quatre axes majeurs : la fin du regroupement familial automatique pour les réfugiés, la création d’un titre d’identité numérique, la révision de l’interprétation des droits humains pour faciliter les expulsions et l’instauration de critères beaucoup plus stricts pour obtenir le statut de résident permanent.

La fin du regroupement familial

La décision est lourde de sens : le mécanisme de regroupement familial doit disparaître définitivement. Désormais, les personnes ayant obtenu le statut de réfugié ne pourront plus faire venir automatiquement leurs proches. Le gouvernement affirme vouloir mettre en place « un système plus équitable », où la régularisation passera par un parcours plus long, appuyé sur une contribution concrète au pays d’accueil.

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Cette mesure n’est pas sans conséquence. Selon le ministère de l’Intérieur, près de 21 000 visas avaient été accordés dans l’année écoulée, essentiellement à des femmes et des enfants. Keir Starmer insiste : le Royaume-Uni « continuera à accueillir de véritables réfugiés fuyant les persécutions », mais il refuse de transformer le pays en « ticket gagnant » pour les familles entières. Les associations, elles, préviennent que cette orientation risque d’alimenter le marché des passeurs et d’augmenter les traversées clandestines de la Manche.

Une carte d’identité numérique pour accéder à l’emploi

Autre innovation majeure : la mise en place d’un titre d’identité numérique, disponible sur téléphone portable, qui deviendra obligatoire pour prouver son droit à travailler d’ici 2029. Pour le Royaume-Uni, où il n’existe pas de carte nationale d’identité, l’idée marque une rupture historique. Les tentatives passées de créer un tel titre d’identité, comme celle lancée sous Tony Blair, avaient échoué face aux critiques.

Le gouvernement met cette fois en avant deux arguments : compliquer l’accès au travail clandestin et simplifier la vie des citoyens pour accéder à certains services. « Vous ne pourrez pas travailler au Royaume-Uni si vous n’avez pas de titre d’identité numérique », a prévenu Keir Starmer lors d’une conférence internationale à Londres. Mais la contestation est vive : une pétition en ligne a déjà réuni plus de 865 000 signatures, reflétant des inquiétudes sur la sécurité des données et l’exclusion des populations les plus fragiles, comme les personnes âgées ou sans-abri.

Réinterpréter les droits humains pour faciliter les expulsions

Le gouvernement souhaite aussi revoir la manière dont les tribunaux britanniques appliquent certaines dispositions du droit international en matière de droits humains. Objectif : lever les obstacles qui freinent les expulsions. « Nous devons réexaminer l’interprétation de certaines dispositions », a déclaré Keir Starmer, ajoutant que ces règles doivent être appliquées « dans les circonstances actuelles » d’une immigration « d’une ampleur sans précédent ».

Ce projet vise à montrer une fermeté accrue, dans un contexte où l’opinion publique et la montée de l’extrême droite alimentent la pression politique. Pour le Labour Party, il s’agit ainsi de trouver un équilibre difficile entre respect des engagements internationaux et réponse aux attentes d’un électorat inquiet.

Un statut de résident permanent plus exigeant

Enfin, le gouvernement entend revoir en profondeur l’accès à la résidence permanente. Actuellement, cinq années de travail suffisent pour obtenir ce statut, qui donne droit à rester indéfiniment sur le territoire, à travailler et à bénéficier des aides sociales. Le nouveau projet double cette durée à dix ans et ajoute une série de conditions strictes : emploi stable, casier judiciaire vierge, cotisations sociales régulières, maîtrise poussée de l’anglais, absence de recours aux aides sociales et même implication bénévole au niveau local. L’exécutif espère ainsi envoyer un signal clair : l’intégration et la contribution deviennent des conditions indispensables.

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Ces réformes surviennent alors que Reform UK, le parti d’extrême droite de Nigel Farage, caracole dans les sondages en promettant des mesures encore plus radicales, comme la suppression pure et simple de la résidence permanente. Le parti travailliste, traditionnellement plus ouvert sur la question, avait déjà durcit son discours pour faire face à la montée de l’immigration dans le pays.

Les chiffres confirment l’ampleur du défi : plus de 111 000 demandes d’asile ont été déposées entre juin 2024 et juin 2025, un record historique. Plus de 33 000 personnes ont traversé la Manche depuis janvier, et au moins 27 sont mortes en tentant la traversée. Pour les ONG, les restrictions annoncées ne feront qu’aggraver la situation humanitaire. Mais pour Keir Starmer, le message est clair : l’installation au Royaume-Uni doit désormais se mériter.