Ils sont une des raisons qui expliquent que les sanctions internationales et notamment celles des 27 membres de l’Union européenne à l’encontre du gaz et du pétrole de Russie ne semblent pas enrayer aussi brutalement qu’espéré sa machine de guerre enclenchée le 24 février 2022 avec l’agression de l’Ukraine.

« Ils », ce sont les bateaux dits « fantômes », des tankers clandestins dont les armateurs se cachent derrière des sociétés écran et qui s’établissent généralement dans des pays qui n’ont pas voté les sanctions à l’encontre d’une Russie qui peut ainsi commercialiser son pétrole et son gaz dans le monde entier. Phénomènes au moins aussi vieux que les embargos sur les pays pétroliers (Iran 1995, Venezuela 2019 et donc Russie), ces bateaux fantômes changent de nom régulièrement et naviguent dans les eaux internationales pour échapper aux contrôles.

Laurent Bozzoni Directeur général du groupe bordelais Socatra, unique armateur pétrolier Français.

Laurent Bozzoni Directeur général du groupe bordelais Socatra, unique armateur pétrolier Français.

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Déjà 20 % de la capacité mondiale de transport de pétrole

Pour Laurent Bozzoni, directeur général du seul armateur pétrolier français, le Bordelais Socatra, le sujet – surtout depuis que l’un des bateaux fantômes, le « BoraCay », a été arraisonné par la France dans le golfe de Gascogne – mérite quelques précisions. « Au début du conflit, on estimait qu’il y avait une centaine de navires fantômes travaillant pour la Russie mais dès le mois de mai 2024, on comptait près de 800 pétroliers. Pire, ils étaient 900 six mois plus tard. Dès 2024 cette flotte assurait 70 % des exportations de pétrole de la Russie. On estime que cette flotte fantôme compte 1 300 navires pétroliers, 700 transporteurs de brut, 600 de pétrole raffiné aujourd’hui. À elle seule, cette flotte à une capacité de transport qui équivaudrait à 20 % de la flotte mondiale de navires pétroliers », explique Laurent Bozzoni, tout en assurant que « chaque jour un nouveau navire se joint à cette flotte ».

Des bateaux fantômes, mais aussi… Des « gris » !

Le dirigeant de Socatra attire également l’attention sur d’autres acteurs potentiels du contournement de sanction : les navires « gris ». Ce sont des navires qui opèrent sans se cacher au service de la Russie. « C’est tout à fait légal s’ils chargent par exemple du pétrole brut vendu sur la base du Price Cap (Prix plafonné qui ne doit pas être vendu plus de 47,6 dollars le baril par les Russes, NDLR). Ce prix d’acquisition pose toujours question, il est parfois compliqué de vérifier la véracité des documents liés à la transaction. Peu de navires et d’armateurs s’y risquent. Si l’on parle de flotte ‘‘grise’’, c’est que dans ces cas-là, elle évolue, au mieux, à la limite de la légalité. »

Entre l’activité des fantômes et des « gris », tous difficiles à contrôler, « les océans sont un très vaste terrain de jeu », assure l’armateur bordelais. Quant à savoir s’il est possible que du pétrole russe transporté de manière illégale finisse à la pompe de nos stations-service : « Beaucoup de brut russe est transporté vers des pays tiers, comme l’Inde pour y être raffiné. Une fois transformé en produits pétroliers, il peut être légalement vendu sur le marché mondial… »