« La victoire dans la guerre froide n’est pas simplement une affaire de bombes et de fusées — c’est en fin de compte une épreuve de volontés et d’idées — une bataille pour les cœurs et les esprits. », déclarait John F. Kennedy, en 1961.

Cet axiome, qui n’a pas pris une ride, s’applique aussi à la guerre en Ukraine. Or, si la situation évolue peu sur le plan militaire, Kiev a dernièrement marqué des points déterminants face à la Russie dans la bataille des récits, susceptibles de changer la donne en sa faveur.

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Les déclarations récentes de Donald Trump, connu pour être du côté des « winners », sont la preuve qu’une petite musique nouvelle s’est frayé un chemin jusqu’à la Maison-Blanche. « L’Ukraine, avec le soutien de l’Union européenne, est en mesure de se battre et de REGAGNER son territoire dans sa forme originelle et peut-être même aller plus loin », a-t-il écrit le 23 septembre sur son réseau Truth Social, allant même jusqu’à comparer la Russie à un « tigre de papier ». Volodymyr Zelensky, qu’il avait qualifié dans la journée « d’homme courageux, [qui] se bat comme un diable » avait visiblement su se montrer persuasif lors de leur discussion en marge de l’assemblée générale des Nations unies.

Intense lobbying ukrainien

Le revirement est total. Il y a encore quelques mois, c’est le narratif russe qui tenait la corde : celui d’une victoire inéluctable des Russes, sur fond de désinformation concernant leurs avancées en Ukraine. Désireux de signer à tout prix un « deal » avec Vladimir Poutine, Donald Trump s’était laissé convaincre par cette rhétorique. L’humiliation infligée à Volodymyr Zelensky le 28 février dans le bureau Ovale en fut la déplorable manifestation. « Vous n’êtes pas dans une bonne position. Vous n’avez pas les cartes en main », lui avait asséné le président américain, avant d’évoquer par la suite des « échanges de territoires » – aligné sur les revendications du Kremlin, il envisageait de forcer l’Ukraine à céder l’entièreté du Donbass à la Russie, selon la presse américaine.

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Il en fallait plus pour décourager Zelensky, reparti à la charge pour faire changer d’avis le leader républicain lors de leur rencontre à New York le mois dernier. En amont, le lobbying pro-ukrainien avait redoublé d’intensité auprès de l’administration américaine. « Quand vous allez voir Trump, inutile de vous plaindre des enfants ukrainiens volés, il s’en contrefiche ! Avant que Zelensky ne rencontre le président américain à l’ONU, des personnes sont allées le voir et lui ont dit : présentez-vous comme un gagnant. Dites à Trump tout ce que vous avez bombardé en Russie et à quel point les Russes n’ont rien accompli. Et apparemment, Zelensky, qui est un bon communicant, s’en est bien sorti, raconte une source proche de Kiev. L’autre chose qu’ils ont faite, c’est de diffuser un spot publicitaire de 30 secondes dans l’émission Fox & Friends le matin, sur Fox News, car ils savent que Donald Trump la regarde, et ils l’ont programmé uniquement pour deux régions : Palm Beach [où est située Mar-a-Lago, la luxueuse résidence floridienne du président, NDLR] et Washington DC, afin que Trump voie ces publicités décrivant une Ukraine puissante. »

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Une opération de communication à laquelle se sont joints les Européens. « On a beaucoup insisté, depuis plusieurs mois […], auprès de l’administration américaine, pour combattre le narratif selon lequel l’Ukraine était sur le point de flancher, […] de capituler : l’Ukraine n’en donne aucun signe, au contraire », soulignait Brice Roquefeuil, directeur de l’Europe continentale au ministère des Affaires étrangères, lors d’un forum organisé par l’Institut français des relations internationales. Selon ce diplomate, les Européens ont également dû lutter contre un autre récit, distillé par la désinformation russe et destiné à influencer la perception américaine : « les sanctions ne fonctionnent pas », « l’économie russe est florissante, le temps joue pour la Russie ».

Une économie russe en difficulté

« Les Ukrainiens, comme tout le monde, ont appris à interagir avec le président Trump. Mais il est aussi possible que les membres de la Maison-Blanche se soient rendu compte par eux-mêmes qu’ils avaient tort. Que l’Ukraine, même sans engagement ferme des Etats-Unis ou de l’Europe, a réussi à stopper la Russie et détruit maintenant les infrastructures pétrolières et gazières russes avec des armes qu’elle fabrique elle-même », explique le général Ben Hodges, ancien commandant des forces américaines en Europe. Bref, « on note un changement de perception de la situation réelle dans la guerre, qui est plus favorable à l’Ukraine », poursuit-il.

De fait, trois ans et demi après le début de l’invasion de l’Ukraine, la Russie peine toujours autant à atteindre ses objectifs. Alors qu’elle avait prévu de s’emparer de son voisin en trois jours, elle ne parvient qu’à grignoter des villages au prix de pertes humaines immenses. La situation intérieure de la Russie n’est pas plus reluisante. Confronté à des dépenses militaires dévorantes et à une baisse de ses recettes pétrolières, son budget ne cesse de déraper (le Kremlin est contraint d’augmenter le taux de TVA standard de 2 points en 2026 pour financer la hausse de ses dépenses militaires) et l’économie russe montre des signes évidents de surchauffe, frappée par une inflation élevée.

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Désormais, de grandes voix n’hésitent plus à dynamiter le narratif russe. « L’Ukraine est en train de gagner la guerre », affirme Yuval Noah Harari dans une tribune pour le Financial Times (publiée en version française dans L’Express). Et une autre idée pénètre à présent les esprits : l’Ukraine, seul pays européen à s’être adapté aux nouvelles règles de la guerre moderne, a beaucoup à apprendre à l’Otan, notamment en matière de défense contre les drones, alors que plusieurs Etats membres ont récemment été survolés par des aéronefs russes.

Certains arguments ont apparemment convaincu Donald Trump, pour qui « Poutine et la Russie sont confrontés à de GRAVES difficultés économiques ». Comment cela se traduira-t-il dans les actes ? Frustré par le président russe et des négociations de paix au point mort, il affirmait dans son post du 23 septembre, que les Etats-Unis « continueront à fournir des armes à l’Otan afin que celle-ci puisse en faire ce qu’elle veut », sans plus de précision. Va-t-il accélérer le mouvement ? D’après les informations du Wall Street Journal, les Etats-Unis fourniront à l’Ukraine des renseignements pour des frappes de missiles à longue portée sur les infrastructures énergétiques russes. Washington aurait aussi demandé à l’Otan de fournir un soutien similaire. De telles armes permettraient à Kiev de déstabiliser encore davantage l’économie russe, alors que les frappes ukrainiennes contre des raffineries russes se multiplient, causant des pénuries d’essence dans le pays.

Mais, pour l’heure, l’incertitude demeure. « En réalité, nous ne sommes pas certains que la position du président américain ait vraiment changé. Au cours des derniers mois, nous avons entendu tant de choses : il a exprimé sa frustration à l’égard de Poutine, mais il ne s’est rien passé. Il n’a toujours pas pris de nouvelles sanctions pour punir la Russie, ni exigé un retrait de ses troupes d’Ukraine, tempère le général Ben Hodges. Les dernières déclarations sont positives, mais ce qui compte le plus, ce sont les actions. Or il y a toujours des débats au sein de la Maison-Blanche sur la stratégie à adopter, avec certains, comme Elbridge Colby, le secrétaire adjoint à la Défense, qui ne sont absolument pas favorables à l’aide à l’Ukraine ».

Une chose est certaine en tout cas : Vladimir Poutine est moins habile qu’il ne le pense à manipuler les esprits des Occidentaux. Et cela aura nécessairement des effets sur le champ de bataille.

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