TOBIAS SCHWARZ / AFP
Sébastien Lecornu photographié à Berlin en conférence de presse le 22 mars 2024
POLLITIQUE – Un calumet de la paix sans feu ? Lors de son rendez-vous avec le Parti socialiste à Matignon, ce vendredi 3 octobre, Sébastien Lecornu a proposé une taxe sur le patrimoine financier. Contrairement à la taxe Zucman, qu’il juge trop dangereuse, le Premier ministre ne veut pas toucher au patrimoine professionnel. « Certaines optimisations fiscales de très grandes fortunes ne sont pas défendables », considère le Premier ministre, selon son entourage.
Son cabinet n’a pas donné particulièrement de détails sur le montant de la taxe, ni de précisions sur ce qu’elle pourrait rapporter, si ce n’est qu’elle s’adresserait aux holdings et aux 0,1 % les plus riches. Concrètement, les holdings sont des sociétés qui permettent de détenir et de regrouper des participations dans d’autres entreprises (les actifs financiers) dans une seule et même entité.
Derrière la holding peut se cacher un particulier, une famille, ou même encore une autre entreprise. L’avantage de ce système ? Un régime fiscal particulièrement intéressant, dit mère-fille, qui permet de faire remonter des dividendes obtenus grâce aux participations (fille), vers la holding (mère) où ils sont stockés, en les exonérant à 95 %. De quoi échapper aussi, de fait, à la flat taxe puisque l’argent n’est pas redistribué. Voilà pour le contenant, un schéma d’optimisation fiscale bien connu.
Des pistes déjà évoquées au sein du socle commun
Reste maintenant à savoir comment Sébastien Lecornu entend exclure les biens professionnels. Cet été, selon Les Échos, Amélie de Montchalin, ministre démissionnaire des Comptes publics, aurait notamment évoqué la possibilité de viser les holdings, en excluant les biens professionnels pour se concentrer sur « la trésorerie excédentaire ». Ce qui n’est pas sans poser, là encore, des enjeux de définition juridique.
Au sein du socle commun, le MoDem s’avère particulièrement prolixe en matière fiscale et pourrait inspirer le Premier ministre. Marc Fesneau, le numéro 2 du parti, et Jean-François Mattéi mettent notamment sur la table une proposition d’impôt sur la fortune improductive, aussi appelé patrimoine improductif, qui ressemblerait à l’ISF. « Tableaux dans un coffre, comptes dormants, trésoreries de holdings jamais réinvesties… », pourraient être ciblés selon Le Nouvel Obs. Là encore, pas question de toucher aux bien professionnels. En revanche, les deux députés MoDem veulent limiter l’optimisation fiscale du régime mère-fille, en doublant une taxe qui existe déjà sur les dividendes qui remontent par exemple.
Zucman pas convaincu par la proposition de Lecornu
Rarement silencieux lorsqu’il s’agit de commenter les propositions politiques en matière de fiscalité, l’économiste Gabriel Zucman n’est pas vraiment convaincu par l’idée avancée ce vendredi matin. En premier lieu parce que, et l’économiste le martèle systématiquement, enlever les biens professionnels revient à vider son dispositif de sa substance.
« La notion de “biens professionnels” n’existe dans aucun manuel d’économie », insiste le spécialiste, qui rappelle qu’elle a été créée en 1981 au moment de l’instauration de l’impôt sur les grandes fortunes (IGF), qui deviendra l’ISF. « Sous la pression des contribuables concernés, le pouvoir de l’époque décida en effet d’en exonérer les plus grandes fortunes du pays ». Résultat : « toute détention de plus de 25 % du capital d’une entreprise fut qualifiée de “bien professionnel”, et à ce titre sortie de l’assiette de l’IGF/ISF ». Or, comme le pointe Gabriel Zucman, c’est justement de ces grosses participations dont provient la fortune des ultra-riches.
Auprès de franceinfo, Matignon défend de son côté « un outil » qui incitera aussi « à distribuer » des revenus dormants sur les holdings. Toujours selon cette logique, l’entourage du Premier ministre estime que cela devrait mécaniquement soumettre davantage de plus riches à plus d’impôts sur le revenu. En attendant, la gauche n’avait, elle, par l’air franchement emballée par l’idée à la sortie de son rendez-vous à Matignon.