« Ses cheveux étaient marron, j’en suis sûr », avance un des joueurs. « Ah non, moi, je les voyais noirs », s’oppose un coéquipier. Les autres gardent le silence : ils n’ont aucun souvenir capillaire du suspect. Pour le portrait-robot, ça commence mal…
Leur interlocutrice a le sourire. La dame est une vraie portraitiste de la gendarmerie. Elle sait la difficulté de l’exercice, même décliné dans le cadre d’un escape game. Elle aiguille les participants. « Homme ou femme ? Type ethnique ? Âge ? »
Peu à peu, le souvenir des deux photos affichées dans le couloir revient. Sur l’écran de l’ordinateur apparaissent la forme d’un visage, d’un nez, d’une bouche. Encore bien flous. « Voulez-vous qu’on lui mette un vêtement pour vous aider ? » Oui. Du coup, bizarrement, les détails ressurgissent. Les cheveux étaient mi-longs, les yeux plus rapprochés.
« Il y a des choses qu’une victime n’encode pas »
L’équipe s’extasie sur le travail réalisé. La gendarme en profite pour placer quelques explications sur la vraie vie d’un portraitiste enquêteur.
« Il y a des choses qu’une personne, surtout si elle a été victime, n’encode pas. J’ai l’exemple d’une Ligérienne qui avait été la proie d’une agression sexuelle. On a arrêté l’auteur le jour même. Il portait une barbe, elle ne s’en était pas souvenue lors de sa description à cause du stress. »
Des ateliers avec des gendarmes
La troisième édition de la Nuit du Droit à Saint-Étienne a été une réussite : 650 participants ont arpenté, jeudi 2 octobre, les couloirs et salles d’audience du palais de justice à la recherche d’un meurtrier. Menant l’enquête dans des conditions d’autant plus réalistes que plusieurs ateliers étaient animés par de vrais gendarmes.
Le portrait-robot, donc. Mais aussi les recherches de traces papillaires. Un gendarme TIC (technicien en identification criminelle) détaille les manipulations. « On utilise un pinceau et une poudre magnétique. On passe la poudre sur les empreintes qu’on a repérées à l’aide d’une lampe torche. Puis, on relève l’empreinte avec un scotch. »
Le professionnel s’affranchit de l’exercice avec dextérité. Le joueur qui tente de l’imiter est moins agile, d’autant que l’opération s’effectue obligatoirement avec des gants de chirurgie aseptisés…
Les Experts, mais à Saint-Étienne
À l’atelier de relevés d’ADN, même engouement. Les Experts, mais à Saint-Étienne. La gendarme intervenante fait monter la pression. « Cette arme a été saisie dans le cadre d’une perquisition. Nous allons l’analyser. Nous commençons toujours par l’ADN, car les produits utilisés risquent de dégrader le revolver. Ensuite, nous chercherons les empreintes digitales. La balistique permettra aussi de regarder si l’arme a déjà servi. »
Autre atelier captivant, le tapissage. Des quatre complices potentiels présentés derrière une vitre, un seul est vraiment impliqué. « Alors, votre suspect, il avait une moustache ? », demande un comédien policier. Hésitation. Fausse piste : ils en portaient tous une. Le coauteur à identifier était en fait… le plus grand.
Le quatuor d’organisateurs de la Nuit du droit (tribunal judiciaire, conseil départemental d’accès au droit, faculté de droit et barreau de Saint-Étienne) a rempli son objectif : faire découvrir aux citoyens la justice et les difficultés auxquelles elle est confrontée.
« Nous voulions être dans le juste par rapport à la murder party de 2023 qui était plus sensationnelle, explique Garance Damart, conceptrice du jeu avec ses équipes de 1909 Event. C’était une demande de la procureure, Anne Gaches, qui souhaitait une animation plausible sur le thème de la recherche de la preuve. » Pari gagné.
Au bout de la Nuit du droit, la coupable a été condamnée lors d’un procès animé avec talent par les étudiants en droit stéphanois. Les enquêteurs d’un soir sont repartis emballés. « Vous avez un travail très intéressant ! », lance un joueur à une gendarme. Qui, maligne, rebondit aussitôt : « On recrute si ça vous intéresse ! » Tout est dit. Ou presque. « Ben non, on ne leur a pas tout expliqué, avoue la professionnelle. On ne leur a par exemple pas dit comment éviter de laisser leurs empreintes… » L’apprentissage a quand même ses limites.