Dans la province turque de Mus, le 5 janvier 2023 avait été une journée de violence ; elle aurait dû, pourtant, être dédiée au recueillement. Mais les funérailles du chanteur traditionnel Mir Perwer, militant de la cause kurde assassiné le 23 décembre 2022 dans la rue d’Enghien à Paris par un criminel raciste, avaient été marquées par de nombreux incidents, alors que les forces de l’ordre turques empêchaient des proches et militants de se joindre à la cérémonie.
Effet papillon, c’est à Marseille qu’un peu de cette violence, dans la nuit du 5 au 6 janvier 2023, s’était répercutée : vers 2h du matin, un groupe de six hommes avait rejoint le consulat de Turquie, au 363 de l’avenue du Prado, et l’avait ciblé d’une quinzaine de cocktails molotov artisanaux, dégradant le bâtiment diplomatique. Presque deux ans plus tard, quatre des auteurs ont été jugés et condamnés ce mercredi 1er octobre par le tribunal correctionnel de Marseille : tous Kurdes entre 25 et 40 ans, aux casiers judiciaires vierges, venus en France par crainte du pouvoir turc pour la plupart et installés dans un foyer à Marignane.
Quatre auteurs identifiés
La nuit des faits, une enquête avait été confiée à la brigade criminelle, secondée par la sous-direction antiterroriste, signe que l’affaire était prise très au sérieux par les autorités. Deux des auteurs avaient été interpellés dans la foulée grâce à la description de leurs vêtements ; deux autres avaient été remontés grâce à leur bornage téléphonique quelques semaines plus tard. Les deux ultimes membres d’un groupe qui comptait six personnes selon les images des caméras de vidéosurveillance n’avaient pas pu être rattrapés.
Au tribunal ce mercredi, ils étaient trois. Le quatrième, signalé sur un vol entre Zurich et Istanbul plusieurs mois auparavant, n’avait pas donné signe de vie depuis. À ces prévenus un peu différents des autres, la présidente Mandana Samii a adressé d’entrée de jeu ce rappel : « Nous sommes une juridiction correctionnelle, pas politique ».
« Un coup de colère »
À la barre, ils ont reconnu les faits, invoquant « un coup de colère », à la suite des funérailles perturbées de Mir Perwer, leur cousin assassiné en plein Paris dix ans presque jour pour jour après un attentat au cours duquel trois militantes kurdes avaient, déjà, été abattues dans la capitale française… Ils ont en revanche contesté tout lien avec un groupe politique armé ou prônant des actions violentes.
À l’heure de requérir, la procureure Audrey Jouaneton s’est livrée à un réquisitoire d’équilibriste. « Ce dossier s’inscrit dans une réalité à la fois politique et émotionnelle », a-t-elle déclaré en préambule, rappelant le double traumatisme des attaques parisiennes pour la communauté kurde, et le fait que, même si « les faits étaient graves », la justice avait choisi d’écarter la qualification terroriste pour les jets de cocktail molotov. Elle a requis 2 ans de prison à l’encontre de chacun, dont un ferme exécutable sous bracelet électronique.
La crainte de la main de l’État turc
À leur tour, les deux avocats de la défense ont tenté de décrire le contexte, Me Olivier Kuhn-Massot rappelant notamment que « l’implication de la main de l’État turc (qu’aucune preuve ne vient corroborer à cette heure, Ndlr), 10 ans presque jour pour jour après le triple assassinat de militantes kurdes, ne faisait aucun doute pour eux » dans l’assassinat de Mir Perwer rue d’Enghien, générant une nouvelle blessure.
Les juges du siège ont semble-t-il entendu la voix de la défense. Les quatre prévenus ont été condamnés ce mercredi en début de soirée à 2 ans de prison avec sursis.