Derrière ses façades soignées et ses terrasses bobo, Portland a basculé dans une bataille de rue. Depuis une semaine, la plus grande ville de l’Oregon, dans l’ouest du pays, vit une sorte de petite guerre civile que les États-Unis regardent en direct à la télé. Un affrontement entre une Amérique radicale, urbaine, portée par la gauche universitaire et les groupuscules anarchistes, et l’administration fédérale, décidée à solder les comptes du premier mandat Trump en brisant les antifas, quitte à envoyer les troupes. Les images tournent en boucle sur Fox News : soldats fédéraux déployés, manifestants masqués, flammes sur fond de drapeaux noirs. Trump n’attendait que ce théâtre d’ombres pour incarner son credo : « Law and order », « La loi et l’ordre ». Après Charlie Kirk, devenu martyr conservateur, Portland sert d’écran géant à cette revanche.
Ce n’est pas un hasard si cette guerre ouverte éclate ici. Portland, capitale autoproclamée des antifas, est davantage qu’une ville. C’est un manifeste. Sur le papier, c’est une belle cité bourgeoise du Pacifique, prospère, blanche et verte, où l’on pédale en buvant son latte. Dans la réalité, c’est un laboratoire de l’antitrumpisme, vitrine en carton-pâte de la gauche. C’est ici, en 2020, que les black blocs ont élu domicile, transformant les nuits en guérilla urbaine. Ici, encore, que les antifas s’organisent contre « l’Amérique fasciste », faisant de Portland la Mecque mondiale des activistes en cagoule.
Minée par l’anomie sociale
Promenez-vous aujourd’hui dans le centre : l’odeur de cannabis saute au visage. Pas un coin de rue sans sa bouffée de fumée, tolérée, bénie, presque revendiquée. À deux pas, des clochards en grappes, allongés devant les vitrines des microbrasseries. Des tentes s’entassent sous les passerelles, les bidonvilles tolérés au nom d’une compassion devenue politique municipale. Voilà le paradoxe : une ville riche, saturée de start-up et de lofts clinquants, mais minée par l’anomie sociale.
La mort de Charlie Kirk, le 10 septembre, figure montante du conservatisme américain, a servi de catalyseur. Si Floyd a été le déclencheur des émeutes de 2020, Kirk est celui de la contre-offensive trumpienne. La différence ? Les émeutes n’ont pas éclaté du côté des partisans de Kirk. Elles sont dans la rue, mais sous la bannière noire des antifas, qui multiplient les rassemblements devant les centres de l’ICE (l’agence de l’immigration), accusée d’« incarner la violence d’État ».
Trump a saisi l’occasion. Le 22 septembre, dans un décret martelé en direct à la télévision, il a frappé fort : les antifas sont désormais classés « organisation terroriste domestique » – une première dans l’histoire américaine. Les avocats de la côte Est grincent des dents, rappelant qu’aucun cadre légal n’existe pour transformer une mouvance idéologique éclatée en « groupe terroriste ». Mais Trump ne s’encombre pas de subtilités. Pour lui, « ce sont des terroristes » qu’il s’agit de combattre « avec une force totale, si nécessaire ».
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Le président a ordonné le déploiement de 200 gardes nationaux à Portland, sous commandement fédéral, pour soixante jours. Le Pentagone a suivi, malgré les protestations des autorités locales. Gouverneur démocrate, procureurs, élus municipaux : tous dénoncent une « occupation illégale » de l’Oregon par Washington. L’État a même déposé plainte. « Portland gère ses affaires », plaide le maire Keith Wilson. Réponse de Trump : « Portland est ravagée par la guerre. » Sous-entendu, par celle menée par les anarchistes.
Cette fois, la Maison-Blanche ne se contente pas de discours
Derrière l’image d’Épinal d’une ville tranquille, avec ses marchés paysans, Portland s’enfonce dans un cocktail de violence et de stupéfiants. D’après la division des services stratégiques du bureau de police de Portland, citée par Time, certains indicateurs ont explosé en à peine un an. Dans la ville, les enlèvements et les rapts ont bondi d’environ 50 %. Les incendies criminels, eux, ont progressé de 25 %. Quant aux délits liés aux drogues, ils connaissent une véritable flambée : + 226 % depuis le début de 2025. Sur le terrain, la présence des militaires est visible. Patrouilles devant les centres fédéraux, véhicules blindés dans certains quartiers sensibles, drones survolant les manifestations. Rien à voir avec les émeutes de 2020. Cette fois, la Maison-Blanche ne se contente pas de discours.
Le ministère de la Sécurité intérieure (DHS) met en avant les violences : jets de projectiles, lasers braqués sur les yeux des agents, tentatives d’intrusion dans les bâtiments de l’ICE. Les vidéos circulent, reprises par Fox News et les médias proches de Trump. Les chaînes de gauche, elles, minimisent, parlent de « quelques heurts » et d’une exagération présidentielle. L’Amérique vit à nouveau dans deux réalités parallèles.
Une stratégie plus large
À Washington, l’affaire dépasse le seul cadre sécuritaire. La guerre contre les antifas s’inscrit dans une stratégie plus large. Il s’agit d’asphyxier une gauche radicale jugée complice de la désagrégation du pays. Depuis sa réélection, Trump a repris un discours de « restauration nationale ». Selon lui, il existe une continuité entre les squats antifas de Portland, l’immigration clandestine à la frontière sud et la « décadence morale » des campus. Une même bataille, menée sur plusieurs fronts. Dans l’Oregon, les manifestations anti-ICE rejoignent d’ailleurs les slogans pro migrants. « No borders, no nations », scandent les cortèges. Exactement ce que Trump veut éradiquer.
Le palais de justice de la ville avait été violemment attaqué durant les émeutes de 2020.
ABACA
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© Zuma
L’opinion est du côté de Trump : l’Amérique en a ras le bol. Assez des vitrines brisées, des campements de drogués, des cortèges masqués qui défient la police. Un sondage AP-NORC révèle que 53 % des Américains approuvent désormais la manière dont le président gère la criminalité. Mieux : 81 % considèrent que la violence dans les grandes villes est devenue un problème « majeur ». Les États-Unis veulent de l’ordre. L’institut Gallup le confirme : 58 % jugent le système judiciaire, en effet, trop laxiste. Le pays réclame le retour de la matraque. Et la bataille de Portland n’est qu’un début.