En hommage à sa grand-mère catholique très pratiquante qui le traînait à la messe chaque dimanche, Sébastien se rend à l’église une fois par mois pour allumer une bougie et lui dédier une prière. Un jour, le trentenaire a été frappé d’un constat. « Je ne priais jamais pour mon grand-père », pourtant tout aussi croyant que son épouse. « Je ne sais pas pourquoi, je n’y avais jamais pensé. »
Cet « oubli » représente bien la place du grand-père dans la famille proche, souvent relégué en cinquième roue du carrosse. Sébastien s’enfonce dans la confusion : « Pourtant, il était là dans mon enfance. Mais… » Mais sans être vraiment là. Les clichés ont parfois la vie dure : à grand-mère les confitures de mûres, les cahiers de vacances, la lecture des histoires avant de s’endormir. A grand-père le fauteuil, les commentaires dans sa barbe devant le JT et le verre de vin bu en silence à table. « Je saurais décrire ma grand-mère : douce, exigeante, altruiste. Mon grand-père, difficile de le caractériser. Ce n’est pas un inconnu bien sûr, il m’aimait et je l’aimais… mais je ne sais rien de lui. »
« Les grands-pères se sont mis à l’écart eux-mêmes »
Même la fête des grands-pères ce dimanche reste relativement anonyme, là où celle des grands-mères, en plein printemps, gagne en popularité chaque année. Il s’y vend désormais plus de fleurs que pour la Saint-Valentin, preuve du succès des mamies en France. Lancée en 1987 par la marque de café Grand-Mère (contre 2008 pour la fête des grands-pères), elle illustre un premier point de différenciation. Meilleure cible marketing, la grand-mère est nettement plus présente dans la culture populaire.
« Il y a tout un discours conservateur qui met une focale sur la place des femmes dans l’enfance, explique Serge Guérin, sociologue spécialiste des séniors et auteur de Silver Génération (2011, Michalon). Mais ne nous y trompons pas : les grands-pères se sont, pour beaucoup, mis à l’écart eux-mêmes. Comme les pères avant eux ». Régine Florin est présidente de l’Ecole des grands-parents européens (EGPE) Paris Ile-de-France, un espace de discussion et de rencontres et une ligne d’écoute, « Allô grands-parents » (01-45-44-34-93). Elle le reconnaît : à l’autre bout du fil, « il y a en grande majorité des grands-mères. Elles sont plus préoccupées par l’unité familiale ». Le grand-père, souvent, « est occupé ailleurs. Association sportive, mairie… » Une enquête de l’Insee montrait que 79 % des retraités disaient pratiquer régulièrement une activité, contre 47 % des retraitées.
« Il imposait une présence mutique »
En 2011, la France a lancé l’Étude Longitudinale Française depuis l’Enfance (ELFE). Suivant 18.000 enfants de leur naissance à l’âge adulte, elle s’est notamment penchée sur les différentes caractéristiques associées aux grands-parents selon leur genre. Résultat : 72 % des grands-mères étaient vues comme apportant tendresse et patience, contre 48 % pour les grands-pères. « Quand j’avais des bobos, une question ou que j’avais fait un cauchemar, j’allais naturellement vers ma grand-mère », retrace Mathieu, 32 ans. « Papy me terrifiait. Il n’a jamais été violent ni méchant, mais quand il était dans la pièce, tout le monde parlait moins fort. » Un jour, alors que sa grand-mère était absente, c’est papy qui l’a amené à un rendez-vous médical à 1h30 de voiture. « Je crois que nous n’avons pas parlé du trajet. »
Cindy, 41 ans, évoque quant à elle un grand-père « rarement à la maison. C’était ma grand-mère qui nous gardait. Je ne doute pas qu’il était heureux de nous retrouver le soir, mais de là à sacrifier ses loisirs pour faire des coloriages ou se balader dans les champs… Fatalement, ça fait beaucoup moins de souvenirs. »
Une garde d’enfant bien plus attribuée aux grands-mères
« Les parents vont avoir plus tendance à confier leurs enfants et les missions associés à leur mère qu’à leur père », ajoute Serge Guérin. Selon l’ELFE, une aide régulière des grands-mères était attendue par 65 % des parents, contre 35 % pour les grands-pères. Même Cindy, qui « regrette ne pas plus avoir connu mon grand-père », reconnaît confier les tâches de garde de sa fille en priorité à sa maman. « C’est plus rassurant ».
Les grands-pères peuvent effectivement être démunis, faute de savoir comment faire après avoir zappé en partie leur rôle de père, poursuit Serge Guérin. Un scénario inverse existe toutefois, précise l’expert : certains papys voient leurs petits-enfants comme une « seconde chance » après avoir manqué l’éducation de leurs propres fils et filles. Quoi qu’il en soit, les grands-mères sont bien plus présentes dans la petite et moyenne enfance. Or c’est, toujours selon l’EFDE, une sorte d’âge d’or de la grande-parentalité.
L’adolescence, période bénie mais souvent trop tardive
Et ensuite ? « Le grand-père se révèle souvent lors de l’adolescence », poursuit Régine Florin. « Il va être plus à l’aise, plus en phase avec les activités, plus concerné ». Encore faut-il qu’il soit là. Les femmes deviennent grands-mères plus tôt (54 ans en moyenne, contre 56 pour les hommes), vivent en bonne santé plus longtemps (66 ans contre 64) et meurent plus vieilles (85,6 ans contre 80). Le petit-enfant connaîtra donc souvent plus longtemps, et en meilleure santé sa grand-mère. « J’ai de très bons souvenirs avec ma mamie lorsque j’étais étudiant et que j’allais manger chez elle. A un âge où on se rend un peu plus compte de la valeur des choses, où on peut discuter, l’interroger sur son passé, sa vie. Papy, lui, était décédé », poursuit Mathieu.
Autre argument d’importance : il y a bien plus de grands-mères que de grands-pères entre France (8,9 contre 6,2 millions), expliquant là encore leur part prépondérante dans l’imaginaire collectif.
Une nouvelle génération de grands-pères
Mais les choses évoluent. Lentement. « Des pères bien plus présents aujourd’hui pour leurs enfants deviendront des grands-parents plus présents et plus à l’aise », s’enthousiasme Serge Guérin. « On voit déjà à l’œuvre une nouvelle génération de grands-pères ». Même constat chez Régine Florin, qui constate des appels de plus en plus variés : « Il ne faut pas tomber dans les clichés, tous les grands-pères ne sont pas absents et beaucoup fournissent énormément d’amour. »
Parfois par petite touche mémorable. Mathieu se rappelle : « Au trajet retour de mon rendez-vous médical, on n’a pas dit un mot non plus. Mais il m’avait préparé des tartines avec du beurre et de la confiture de figue. Il ne prenait pas toujours le petit-déjeuner avec nous, mais il savait que c’étaient mes préférées. »