Des analyses de juin 2025 réalisées dans les eaux souterraines de l’usine Lubrizol de Rouen (Seine-Maritime) montrent une concentration très élevée de PFAS, avec par endroits des taux 872 fois supérieurs à la norme européenne.
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Les eaux souterraines de l’usine de Lubrizol à Rouen sont très largement contaminées aux polluants éternels ou PFAS (substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées), ont pointé nos confrères de Reporterre.
C’est ce que révèlent des analyses réalisées en juin 2025 à la demande de la préfecture de la Seine-Maritime et que nous avons pu consulter.
20 PFAS ont été recherchés sur une dizaine de zones du site industriel de Lubrizol, conformément à la directive européenne de 2020 sur l’eau potable. D’après ces relevés, toutes les zones du site ont des concentrations en PFAS largement supérieures à la norme européenne de potabilité, évalué à 100 ng/L.
Sur l’une d’entre elles, un taux de 87 175 ng/L est établi pour la somme de 20 PFAS, soit un taux 872 fois au-dessus de la norme. Cette concentration massive est du même ordre de grandeur que celle retrouvée sous l’usine Arkema de Lyon.
Ce relevé d’analyses de juin 2025 montre également la forte concentration de PFOA dans les eaux souterraines de l’usine Lubrizol. Classé cancérigène, il s’agit d’un des PFAS les plus utilisés mais aussi l’un des plus dangereux et persistant dans l’environnement et l’organisme.
Là encore, on constate que la présence de ce PFOA atteint un taux à certains endroits de 2 308 ng/L soit une concentration 23 fois au-dessus de la norme européenne (pour une somme de 20 PFAS).
En octobre 2023, des relevés d’analyses réalisés dans les eaux souterraines de l’usine Lubrizol avaient déjà mis en lumière la forte présence de PFAS. Mais cette fois, ces relevés de juin 2025 présentent des taux de concentration bien plus élevés.
Autre surprise de ces nouveaux relevés d’analyses, ces derniers montrent des niveaux de concentration assez disparates en fonction des zones de prélèvements. Par exemple, la plus forte concentration de PFAS n’est pas située là où s’est produit l’incendie de 2019.
“La concentration de PFAS est vraiment très ciblée sous l’unité de production, on voit bien que c’est archi pourri. Et on voit la différence avec la zone incendiée par exemple. Comme toute usine chimique, elle laisse derrière des sols et des eaux pourries donc je ne suis pas surpris”, commente Christophe Holleville, secrétaire de l’Union des victimes de Lubrizol.
Une hypothèse qui n’est pas forcément partagée par Paul Poulain, spécialiste des risques industriels, qui évoque la possibilité que cette forte concentration de PFAS soit uniquement liée à l’utilisation de mousse anti-incendie lors de l’incendie de 2019.
Ça ne m’étonnerait pas que cette forte concentration de PFAS soit principalement liée à l’utilisation de ces mousses anti-incendie.
Paul Poulain, spécialiste des risques industriels
« En 2019, il a fallu éteindre 10 000 tonnes de liquides inflammables, les moyens d’extinction du feu ont été gigantesques donc ça ne m’étonnerait pas que cette forte concentration de PFAS soit principalement liée à l’utilisation de ces mousses anti-incendie, avance-t-il. De plus, les PFAS sont mobiles dans les sols et les eaux souterraines, ça peut même parcourir plusieurs kilomètres donc on ne peut pas trop se fier à leur localisation. »
Questionnée sur l’utilisation passée de PFAS dans son processus de production, la direction de l’usine Lubrizol nous a répondu ceci : « Lubrizol ne fabrique pas de produits issus de la chimie du fluor et n’utilise pas de PFAS dans ses processus de fabrication. »
Elle ajoute : « À la suite de l’incendie, plusieurs laboratoires et organismes reconnus ont réalisé des analyses de l’air, du sol et de l’eau sous la supervision des autorités publiques qui ont révélé des mesures conformes aux niveaux historiques ou à d’autres facteurs contributifs. »
Si la forte présence de PFAS n’est pas liée à l’incendie de 2019, alors elle pourrait peut-être être liée à l’incendie de l’usine Onduline en 1993. Mais il est impossible de le savoir : les relevés d’analyses sur la présence de PFAS n’existaient pas encore.
Cette forte concentration de PFAS sous l’usine Lubrizol présente de potentiels risques étant donné la capacité de mobilités de ces polluants éternels.
« Le risque en effet c’est que ces PFAS se déplacent, qu’elles se déversent dans la Seine. Et le problème évidemment c’est qu’elles sont éternelles donc ça rend la dépollution très compliquée. Il faudrait pomper les eaux polluées et les déplacer », explique Paul Poulain.
De son côté, Christophe Holleville pose la question de la dépollution de ce terrain. Il craint qu’après l’hypothétique départ de l’usine, ce soit finalement à l’État et donc aux contribuables de payer. « Quand on voit le comportement qu’ils ont eu vis-à-vis des victimes et pour les indemnisations, on n’imagine bien qu’ils ne vont pas se plier en quatre pour dépolluer les sols et les eaux », confie-t-il.
Contactée au sujet de cette concentration massive de PFAS, la préfecture de la Seine-Maritime confirme les chiffres auxquels nous avons eu accès, mais explique qu’il n’existe « pas de pompage en vue de la production d’eau potable dans l’aquifère présent sous le site Lubrizol » et que les normes de potabilité ne s’y appliquent donc pas.
« Le suivi des eaux souterraines au droit du site Lubrizol fait l’objet de mesures deux fois par an », note encore la préfecture, ajoutant que « les PFAS sont des molécules très persistantes et utilisées dans de très nombreux secteurs et domaines d’applications. C’est pourquoi on constate la présence de PFAS dans de nombreuses ressources en eau, de surface ou souterraines. »
Concernant la possibilité que cette concentration soit liée aux incendies de 2019 et 1993, elle souligne : « Des travaux au niveau national et européen ont montré qu’une des sources peut être l’utilisation d’émulseurs anti-incendie fluorés [les mousses anti-incendie, ndlr]. On ne dispose pas d’analyses de PFAS dans les eaux souterraines antérieures à l’incendie de 2019, ces paramètres n’étaient pas recherchés à l’époque. »
Enfin, la préfecture rappelle « qu’il n’existe pas de valeurs toxicologiques nationales de référence pour la grande majorité des PFAS ». Dans l’attente, « les démarches de collecte de données et de suivi du site se poursuivent ».