À l’époque, Sega n’avait plus rien à perdre. La Saturn avait bu la tasse, la Dreamcast ressemblait déjà à un baroud d’honneur, et Sony avait lancé sa PlayStation 2, préparant une home invasion mondiale. Pendant que Square servait son énième cocktail de héros blond menant un groupe d’ados contre des méchants et une histoire de Cristaux (Final Fantasy IX, coucou – pas la peine de mordre, comme notre DocSavage, je l’aime d’amour ce FF9 -), Overworks (ex-Team Shinobi, et ex-AM7) sortait de ses hangars un RPG qui refusait les donjons poussiéreux et les forêts interchangeables. Skies of Arcadia, c’était des navires volants, des pirates idéalistes et un ciel immense qui semblait attendre le joueur comme une feuille blanche attend l’écrivain.

On y incarnait Vyse, archétype du héros optimiste (et terriblement naïf), entouré d’Aika, boule d’énergie flamboyante, et de Fina, prêtresse mystérieuse. Le trio lutte contre l’Empire Valua cherche à réveiller les Gigas, des armes colossales de civilisations anciennes, capables de détruire des continents entiers. Leur voyage se transforme alors en une quête pour empêcher Valua d’asservir le monde, tout en cartographiant de nouvelles terres, rencontrant des peuples oubliés et recrutant un équipage bigarré pour leur navire, dont Drachma le vieux pirate bourru avec un bras mécanique, Gilder l’expert en flingue et Enrique l’épéiste (trois autres personnages jouables). Sur le papier, c’était du shônen pur jus, porté par le coup de crayon acéré d’Itsuki Hoshi. Mais dans l’exécution, c’était autre chose. Skies of Arcadia sonnait comme un appel à l’aventure, à l’exploration, à la découverte d’un monde qui, pour une fois, ne se contentait pas d’un copier-coller médiéval fantastique.

Car ce qui faisait la véritable force de Skies of Arcadia, ce n’était pas tant son gameplay — franchement, ses combats au tour par tour étaient déjà fatigués à la sortie, avec un taux d’affrontements aléatoires digne d’une torture. Ce qui comptait, c’était ce sentiment rare de pouvoir lever les yeux vers le ciel et de croire qu’on allait, à chaque fois qu’on embarquait, découvrir quelque chose de nouveau.

Et au rayon nouveauté, comment ne pas évoquer les batailles navales, une idée de génie. En tant que pirate, vous dirigiez un bateau volant, errant sur des mers de nuages pour aller d’île en île. Et Skies of Arcadia envoyait régulièrement vos cuirassés volants s’affronter dans de superbes duels tactiques, loin des éternelles escarmouches aléatoires contre des blobs et des chauves-souris en donjon. Concrètement, ces affrontements se déroulaient comme une partie d’échecs à ciel ouvert : prévoir les attaques ennemies sur plusieurs tours, choisir entre canonner, esquiver ou charger une attaque spéciale, tout en gérant la position de son navire dans les nuages. Ajoutez à ça l’adrénaline d’un équipage qui évoluait avec le joueur – chaque membre recruté apportant un bonus en combat – et vous obteniez un système à la fois original, stratégique et profondément immersif. L’une des plus belles réussites du jeu.

Moi quand j'ai joué la première bataille navaleMoi quand j’ai joué la première bataille navaleLe joyau d’une console condamnée

Le hic, c’est que Skies of Arcadia a pris son envol alors que la Dreamcast était déjà en phase terminale (Sega avait annoncé la fin de la production de sa console quelques temps avant la sortie du RPG). Sorti fin 2000 au Japon et aux USA (et début 2001 en Europe), le jeu est arrivé en même temps que la vague PlayStation 2, machine marketing qui a balayé tout sur son passage. Malgré des critiques dithyrambiques, le RPG a coulé plus vite qu’un galion percé. Sega tenta bien une version GameCube en 2003 (Skies of Arcadia Legends), avec des ajouts cosmétiques, de nouvelles quêtes et même une nouvelle intro cinématique. Mais ce fut la même punition, avec des critiques emballées, mais l’indifférence générale du grand public. Des versions PS2 et PC avaient été un temps prévues, avant d’être abandonnées. Quant à d’éventuels projets de suites, ils sont tous morts dans l’oeuf. À ce jour, l’équipage de Vyse ne survit que dans quelques malheureux caméos dans la saga Valkyria Chronicles ou chez Sonic & All-Stars Racing Transformed.

Ces designs dinguesCes designs dingues

Un quart de siècle plus tard, l’ironie est d’autant plus cruelle que Skies of Arcadia proposait déjà ce que des open worlds modernes promettent à grands renforts de trailers XXL – liberté, exploration, découverte –, mais avec une sincérité qui manque encore à beaucoup de blockbusters. Comparez son ivresse du voyage à un Starfield aux planètes interchangeables, et vous comprendrez.

D’une certaine manière, Skies of Arcadia fut la dernière utopie de Sega constructeur. Un RPG candide, lumineux, qui croyait que l’émerveillement pouvait primer sur la rentabilité et que la naïveté d’un héros suffisait à déplacer des montagnes. C’était peut-être un rêve idiot. Mais c’était un rêve magnifique.