Deepfakes –
À la télévision russe, la satire devient l’affaire de l’IA
Le Kremlin a lancé une émission parodique entièrement produite par l’intelligence artificielle. Faut-il s’inquiéter de cette propagande d’un genre nouveau?
Publié aujourd’hui à 14h55
Un deepfake de l’émission satirique russe générée par IA, de la chaîne Zvezda.
Capture d’écran rutube.ru
En bref:
- Une émission satirique russe utilise l’intelligence artificielle pour créer des deepfakes d’hommes politiques occidentaux.
- Des séquences mélangent habilement images authentiques et contenu généré par ordinateur.
- Les experts s’inquiètent de l’effet des extraits partagés hors contexte.
Macron en bigoudis qui rajuste la cravate de Zelensky avant une réunion au Kremlin, Trump et Musk dansant une valse de réconciliation, Friedrich Merz et Ursula von der Leyen dans la fumée des joints d’un bar reggae. Ce ne sont que quelques deepfakes qui défilent dans la nouvelle émission russe «Политукладчик», qu’on pourrait traduire par «mise en boîte politique». Trois quarts d’heure de satire diffusée tous les vendredis sur Zvezda, une chaîne de télévision appartenant au Ministère de la défense. Mais surtout, entièrement générée par l’IA, si l’on en croit les auteurs.
Le ton est donné par Natasha, un avatar qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la journaliste russe Nataliya Metlina, reine des talk-shows et membre du parti de Vladimir Poutine, Russie unie. L’IA explique sa tâche aux téléspectateurs: «Sélectionner toutes les absurdités politiques perpétrées par l’Occident et les faire entrer dans vos têtes comme des bonbons dans une petite boîte.» Le générique de l’émission décline d’ailleurs des bonbons emballés dans du papier doré à l’effigie des chefs d’États occidentaux.

L’émission est présentée par l’avatar de la journaliste russe Nataliya Metlina
Capture d’écran rutube.ru
La chaîne assume pleinement ce travail de l’IA qui choisit, analyse et commente elle-même les actualités politiques. Blagues, commentaires grossiers et interviews avec des dirigeants en deepfakes rythment le show. Dans l’une d’elles, Donald Trump explique comment il mettrait fin à la guerre en Ukraine en construisant un casino à Moscou, où les oligarques joueraient au poker et oublieraient de se battre. Emmanuel Macron, lui, explique que sa mission est de toujours surprendre ses partenaires européens. Et de conclure: «Il n’y a que quand ma femme me bat qu’ils ne sont pas surpris.»
L’IA pour cultiver le doute
Au-delà de la parodie, c’est l’utilisation sans limite de l’IA comme outil de propagande qui interroge Olivier Glassey, sociologue à l’Université de Lausanne et professeur à l’IDHEAP. «Avec des deepfakes, mais aussi des images authentiques d’actualité, on construit un continuum entre le vrai reportage et le faux.»
Avec la fin des célèbres «Guignols de l’info», l’IA et les deepfakes ont remplacé les marionnettes. L’émission parodique «C’est Canteloup» sur TF1 utilise elle aussi les deepfakes, qui permettent à l’humoriste français de se glisser dans la peau de Nicolas Sarkozy ou Marine Le Pen, en superposant des centaines d’images de son visage et celles de personnalités.

Un deepfake de l’émission satirique russe générée par IA, de la chaîne Zvezda.
Capture d’écran rutube.ru
Sauf que, dans ce cas, les éléments de la parodie sont clairement définis, rappelle Olivier Glassey. «La chaîne russe aurait pu produire un avatar virtuel, mais en prenant une vraie journaliste comme modèle, elle incorpore une partie de sa légitimité pour montrer indifféremment le vrai et le faux. Avec ce mélange des genres, elle cultive le doute.»
Le faux journal télévisé de Zvezda a été découvert par l’analyste de données américain Kalev Leetaru, dont le projet GDELT scanne et stocke les émissions de télévision du monde entier. «À ma connaissance, aucune chaîne de télévision nationale n’est allée aussi loin», commente-t-il sur le média en ligne 404 Media.
Olivier Glassey voit surtout le problème que pose une telle émission relayée sur les réseaux sociaux. «La notion de parodie est clairement indiquée par la chaîne de télévision. Mais les extraits rediffusés sont sortis du contexte et rendent encore plus difficile notre faculté à reconnaître le faux.»

Un deepfake de l’émission satirique russe générée par IA, de la chaîne Zvezda.
Capture d’écran rutube.ru
Les parodies russes de Macron et Trump ouvrent de nouvelles perspectives aux deepfakes, banalisés par ces mêmes hommes politiques et leur frénésie à les repartager. Sommes-nous pour autant condamnés à ne plus croire ce que nous voyons? Le chercheur de l’UNIL est plutôt nuancé. «Je suis frappé par les centaines de commentaires qui remettent systématiquement en question ces images virales. C’est une manière plutôt saine de les désamorcer.»
Selon lui, l’enjeu ne se limite cependant pas aux seuls deepfakes, mais aux doutes que leur prolifération engendre systématiquement autour des contenus véridiques.
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Se connecterVirginie Lenk est journaliste à la rubrique internationale depuis 2019, spécialiste de l’environnement. Elle a travaillé auparavant à la RTS. Elle est depuis 2025 rédactrice en chef adjointe de 24Heures.Plus d’infos
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