La suite comme terrain de jeu

Chez Supergiant, Hades II ne donne jamais l’impression d’un cahier des charges lourdingue ou d’un produit repassé à la photocopieuse. C’est une suite qui respire l’envie, pensée comme un laboratoire où chaque élément du premier jeu est démonté, repensé, puis réinjecté dans une formule encore plus addictive. Plus vaste, plus exigeant, mais aussi plus harmonieux, le jeu ne se contente pas de faire « plus ». Il ose bousculer ses mécaniques, enrichir ses personnages, varier son rythme.

Dès les premières heures, on sent la main ferme d’un studio qui sait exactement où il va. Il faut dire que le studio est habitué à la pratique de l’early access, Hades premier du nom étant passé par là. Et le choix d’un accès anticipé pour Hades 2 n’a pas servi qu’à remplir les caisses de Supergiant (même si c’est assurément le cas, puisqu’il s’est vendu à 2 millions d’exemplaires en early access) : il a permis de bâtir un dialogue constant avec les joueurs. Hades II s’est offert à nous dès le départ, imparfait mais vivant, évoluant sous nos yeux. À l’arrivée, c’est un jeu qui donne le sentiment d’avoir été construit avec nous. Quand on y replonge, ce n’est pas seulement pour gagner une run, mais aussi pour assister au résultat d’une longue mue.

Silksong : le mythe, la légende

À l’inverse, Hollow Knight : Silksong s’est fait attendre si longtemps qu’il a fini par ressembler à une fable. Sept ans de silence, de micro-trailers décortiqués à la loupe, d’attente religieuse. Team Cherry a cultivé un secret qui a transformé le jeu en artefact sacré avant même qu’il ne sorte. Et forcément, quand on a enfin posé les mains dessus, le choc a eu une saveur particulière, celle d’un fantasme qui se heurte au réel. Objectivement, Silksong est un très grand jeu : un monde immense, des mécaniques affinées, une exigence qui ferait pâlir la plupart des Metroidvania modernes.

Mais en tant que joueur, difficile de ne pas ressentir une petite pointe de frustration. Tout est admirable, mais rien n’est renversant. C’est comme si le jeu s’était figé dans le marbre de son propre mythe splendide, mais d’une certaine façon, transformé en icône sainte intouchable. On y progresse avec respect, plus qu’avec jubilation. Et c’est bien là le paradoxe, à force de vouloir protéger son œuvre, Team Cherry a fini par couper une partie de l’élan vital qui faisait la magie d’Hollow Knight. Là où le premier surprenait par son souffle, Silksong impressionne surtout par son poids symbolique. On en sort ébloui, mais pas secoué.

Deux philosophies du rapport aux joueurs

Cette opposition philosophique entre Supergiant et Team Cherry dit surtout quelque chose de la relation qu’entretient un studio indé et son public. Team Cherry a choisi la rareté, le secret, la distance. En plaçant ses fans dans l’attente, le studio a créé une ferveur presque mystique. Mais cette ferveur a eu un prix, puisqu’elle a transformé l’expérience de jeu en un jugement permanent. Chaque boss, chaque biome de Silksong est scruté comme une relique. Et ça change la manière dont on joue, puisqu’on n’explore plus, on évalue.

Supergiant a choisi le chemin inverse, en optant pour la transparence, le partage, la confiance. En ouvrant les portes de Hades II tôt, le studio a offert un jeu qu’on a pu voir grandir. Et ça change tout. On ne le juge pas seulement comme une promesse à tenir, mais comme une expérience en train de se façonner. On y revient pour le plaisir, pas juste pour cocher la case « moi aussi j’y ai joué ». Alors, bien entendu, toute cette réflexion est aussi soumise au fait que je suis adepte de la pratique de l’early access et que j’apprécie énormément voir un studio forger un jeu comme Pygmalion sculpte sa statue d’ivoire. Mon cher DocSavage, qui jurait ses Grands Dieux « jamais je touche à un early access », n’aurait certainement pas le même avis sur la question.

Et si la générosité valait plus que le mythe ?

Au final, Silksong reste un grand Metroidvania, une œuvre d’orfèvre qui mérite son statut. Mais c’est aussi un jeu qui s’est laissé engloutir par son propre mythe, un monument qu’on contemple plus qu’on ne dévore. Hades II, au contraire, reste une invitation permanente à jouer, à échouer, à recommencer… Une célébration du gameplay qui se renouvelle sans cesse, où la générosité prime sur la vénération.

Deux philosophies, deux résultats. L’une a transformé la suite en relique figée, l’autre en terrain de jeu inépuisable. Et s’il fallait choisir, je préfère mille fois brûler mes nuits dans l’excès d’Hades II que de retourner une fois encore vers Silksong en me disant : « oui, c’était magnifique… mais c’était tout ? »

C’est peut-être ça, la vraie différence. L’indépendance n’a pas vocation à fabriquer des mythes. Elle devrait offrir des expériences vivantes, imprévisibles, humaines. Et en 2025, entre mythe et fête, mon choix est fait : je prends la fête.