Concurrence des grandes enseignes et désormais des plates-formes en ligne, diminution de la fréquentation, changements des habitudes de consommation mais aussi coûts élevés des loyers et des taxes locales ou difficultés d’adaptation aux nouvelles technologies… De nombreux commerces et artisans des petites villes et villages de France (entre 2 500 à 25 000 habitants) sont fragilisés, poussés à mettre la clé sous la porte ou rencontrent des difficultés au moment de passer la main.
Christophe Bouillon, maire de Barentin, 20 000 habitants près de Rouen, par ailleurs président de l’Agence nationale de la cohésion des territoires et président de la communauté de communes Caux-Austreberthe, connaît bien le sujet. « Souvent, explique-t-il, un maire est angoissé quand une affaire doit trouver un repreneur et être revendue. Ce sont souvent des moments de turbulences, car des métiers comme ceux de boucher et de poissonnier deviennent difficiles. »
Le conseil communautaire a donc choisi de mettre en place des périmètres de sauvegarde du commerce et de l’artisanat qui complètent les dispositifs déjà existants. Depuis un mois, précise Christophe Bouillon « à chaque changement d’affectation, nous avons notre mot à dire. On voit parfois des commerces ou des locaux commerciaux devenir des logements. Nous sommes alors méfiants, car c’est définitif et irréversible. Désormais, nous pouvons agir. Nous pouvons empêcher un changement d’affectation et décider que cela reste une case commerciale. »
« Si on laisse aller, demain, il y aura n’importe quoi »
« Nous voulons maintenir le front commercial, rappelle le maire de Barentin. C’est un pouvoir qu’il faut s’autoriser dans les règles de l’urbanisme jusqu’à aller à la préemption. Dans les deux mois du dépôt de dossier, le chef du développement économique et le service urbanisme doivent analyser la situation et négocier s’il le faut avant que les élus ne tranchent. C’est de la dissuasion commerciale et cela peut ne pas faire plaisir. Mais si on laisse aller, demain il y aura n’importe quoi. Il en va de la survie de nos centres bourgs. C’est un signal fort de la reprise en main. C’est aussi une lueur d’espoir pour lutter contre l’isolement social. La proximité devient un sujet de politique publique. Il faut savoir quelle société on veut. »
« C’est pourquoi est né le programme Petites villes de demain qui concerne 1 600 petites villes en France, rappelle Christophe Bouillon. Le but est de revitaliser ces centres bourgs devenus vulnérables à travers différentes opérations dont l’aménagement urbain à travers le stationnement et plus d’espaces verts, de conserver un chapelet de commerçants et de lutter contre la vacance commerciale. »
Dans ce combat pour la sauvegarde du commerce et de l’artisanat, sur son territoire (Pavilly-Barentin), le maire de Barentin a déjà eu l’occasion de tester plusieurs dispositifs comme les bons cadeaux Beegift, la plate-forme Ma ville-Mon shooping, des zones bleues pour éviter les véhicules ventouses et faciliter le flux, un nouveau réseau de transport en commun MOCA et la subvention Impulsion Boutique permettant de financer 50 % des travaux d’embellissement des vitrines. Mais, l’élu a voulu aller plus loin.
« C’est instinctif, le client n’aime pas les rues dessertes »
Avec un centre commercial construit dans les années 1970 qui attire plus de 5 millions de personnes par an, Christophe Bouillon n’ignore rien du conflit entre ce pôle d’attractivité et les 150 commerçants des deux centres-villes de Barentin et Pavilly. Pour lui, « ce sont des clientèles voire des achats différents. Il y a ceux qui recherchent la proximité et qui ne veulent pas aller dans la zone commerciale. Il faut leur donner les moyens de trouver les commerces et les services dont ils ont besoin. Après, il y a ceux qui veulent des commerces de proximité et n’y vont jamais pour diverses raisons. Le consommateur est roi, mais il faut qu’il soit responsable. C’est bien de vouloir, mais il faut jouer le jeu. »
Mais il y a surtout commerçants eux-mêmes qui ferment leurs rideaux et ne peuvent pas trouver de repreneur. « Pour plusieurs raisons, convient le maire. Comme l’indivision, les biens sans maître ou l’impossibilité de séparer l’accès au magasin des logements du dessus. Il y a plein de motifs. Ce qui est indéniable c’est qu’à Barentin, depuis 40 ans, il y a moins de commerces et d’artisans. En ce moment, la filière textile prend cher. Il faudra aussi faire attention à la fermeture des agences bancaires et la disparition des DAB qui apportent du flux. C’est instinctif, le client va chercher la lumière. Il n’aime pas les rues dessertes. Tu as beau mettre des choses en place, c’est compliqué. Alors, même si ça résiste, c’est fragile au moment de la transmission. ».