Par
Inès Cussac
Publié le
7 oct. 2025 à 20h08
; mis à jour le 7 oct. 2025 à 20h14
À les écouter, ouvrir une maison d’édition indépendante à Paris en 2025 est un jeu, un pari. Pour d’autres, cela relève davantage du challenge, du défi. C’est selon. Emma Kouloumba-Liefooghe et Aurélien Vandal, 21 et 24 ans chacun, ont osé. Le duo a franchi un cap à la mi-septembre 2025 en lançant officiellement sa maison d’édition indépendante baptisée Les Enfants Terribles, en référence à l’écrivain Jean Cocteau. « On y va on et on voit ce qu’on fait. Si ça marche : tant mieux. Si ça ne marche pas : on aura tenté », prévient Emma sous ses boucles châtains. Cette forme d’insouciance non dissimulée est sans doute ce qui caractérise le mieux l’ADN de leur entreprise « jeune, associative et chaleureuse ». Une sorte de pied de nez au sérieux monde des adultes où le secteur des maisons d’éditions indépendantes fait difficilement rêver.
« C’est assez simple, mais quand même »
S’il faut raconter les prémices des Enfants Terribles, le fameux « il était une fois » serait sans doute de trop. Trop tôt. Trop léger. L’histoire débute à peine et elle s’écrit alors que le contexte économique des maisons d’éditions indépendantes est particulièrement fragile. En moyenne, la rentabilité de ces dernières est négative, le chiffre d’affaires ne dépasse pas 164 000 euros et les deux tiers ont recours à des aides publiques, selon une étude du cabinet Axiales, traitant des chiffres de 2023 et publiée en février 2025 à l’occasion des Assises nationales de l’édition indépendante à Bordeaux. « En soit, c’est assez simple puisqu’on imprime nous-même. Mais quand même… » tente Emma. Car il ne lui a pas suffi d’acheter une imprimante à 800 euros et de la caler dans un coin de son 20 mètres carrés du 18e arrondissement pour donner vie au projet.
Outre leur passion commune pour la littérature et les arts de la scène, Emma et Aurélien partagent aussi le goût de la mise. Pour réussir, il faut oser. En terminale, elle s’était risquée à un concours télévisé de lecture à voix haute avant d’en sortir gagnante. Lui, s’était entrepris sur les réseaux sociaux en publiant quelques poèmes et frôle aujourd’hui les 100 000 abonnés sur Instagram. Après le bac, aussi ils n’ont pas eu peur de stopper net leurs études pour changer de cap. Emma est en année césure après une khâgne et une troisième année d’Histoire des arts à La Sorbonne. Aurélien a lâché sa préparation au concours des écoles d’officiers puis son école d’ingénieurs pour s’inscrire à la formation en théâtre à l’université Paris 8.
Il y a six ans, quand ils se rencontrent au Jeune Bureau de la Comédie Française, l’idée de lancer une maison d’édition indépendante s’écrit sur un coin de table. Puis, lors d’une répétition de théâtre chez une amie l’idée devient concrète. « Tu penses à ce que je pense ? » soufflent-ils l’un à l’autre en voyant les illustrations de leur amie Isoline. « On se disait que c’était presque égoïste de garder ses dessins pour elle », se souvient Aurélien.
Il ne suffisait que d’un prétexte pour lancer les deux passionnés. « Isoline a longtemps pensé que ce n’était qu’une blague mais là, elle voit que ça devient quelque chose d’abouti », explique aussi Emma précisant que « tout est fait en dialogue avec elle ». Grâce aux Enfants Terribles, la jeune artiste renommée Isou peut « tester toutes ses idées » librement avant de peut-être s’envoler vers une autre maison d’édition d’une plus grande envergure. « Elle a toujours voulu faire de la BD. Mais elle papillonne. Elle est très enthousiaste pour tout et très contente. Elle voit aussi qu’il y a des gens qui croient en elle », indiquent les deux amis-dénicheurs de talents.
« Format A6 et Isoline »
Pour l’heure, les premières publications portées par Les Enfants Terribles se comptent sur les doigts d’une main et ont toutes en commun d’être présentées au format A6. Plus pratique, plus facile à réaliser et d’une meilleure qualité, selon les jeunes éditeurs. D’abord, il y a la BD « Flop Flop » d’Isou. Ensuite, il y a le poème « Visage sacrifié » écrit par Aurélien et illustré par André Verdet. Enfin, il y a Les Fables de La Fontaine, illustrés par Isou, la « tête d’affiche » de la maison indépendante. « Ce format A6 et Isoline, c’était assez clair pour nous. C’est ce qui nous a poussé à nous lancer », indique Aurélien ajoutant que « sans doute, on sera amené à évoluer ».
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La diversification de l’entreprise viendra avec les appels à projets lancés par les collectivités et les associations. Les salons et les festivals permettent en outre de rencontrer de nouveaux artistes, d’élargir le public, de se frotter au milieu de l’édition… « Dès qu’on commence à vendre, on est viable. On cherche surtout à se diffuser », explique Aurélien. Avec Emma, ils veulent aussi s’implanter auprès de librairies indépendantes et proches géographiquement de leur camp de base, la maison de la vie associative et citoyenne du 18e arrondissement. Comme avec Le Rideau rouge, L’Humeur vagabonde, dans le 18e arrondissement, ou Les Folies d’encres à Montreuil (Seine-Saint-Denis), « on cible des établissements pour y adhérer », souligne Emma. L’engagement culturel, social ou politique permet de facto de valoriser des maisons d’éditions indépendantes, outre la diversité et la qualité éditoriales qu’elles proposent déjà. « Les éditeurs indépendants servent trop souvent de pépinières aux gros éditeurs », se désolait Vincent Henry, fondateur de La Boîte à bulles, aux Assises nationales. « Notre vocation c’est la passion, nous ne sommes pas là pour faire fortune. » Signe du caractère militant du secteur qui, à défaut de rafler la mise à chaque partie s’échine à oser chacune d’elles. Ainsi l’écrivait Jean Cocteau : « Il n’existe que deux manières de gagner la partie : jouer cœur, ou tricher. »
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