Catherine Deneuve et Françoise Dorléac se donnant la réplique, des couleurs pétillantes, des chansons cultes… En 1967, Jacques Demy offrait au monde un long-métrage devenu mythique : Les Demoiselles de Rochefort. Depuis le 2 octobre 2025, cette comédie musicale emblématique a dépassé la frontière de l’écran pour prendre vie sur la scène du Théâtre du Lido. Mais comment adapter un tel chef d’oeuvre au théâtre musical ? Maïlys Arbaoui-Westphal et Sophia Stern, l’un des duos qui incarnent les jumelles Delphine et Solange Garnier, ainsi que Gilles Rico et Joanna Goodwin, respectivement metteur en scène et chorégraphe, nous dévoilent les dessous de la création du spectacle le plus attendu de l’automne. 


« Au-delà de fusionnelles, je les trouve complémentaires, elles s’inspirent entre elles, et c’est quelque chose que j’aime rechercher dans notre travail ensemble »

De quelle façon vous identifiez-vous à votre personnage ? Est-ce que vous lui ressemblez ou au contraire, pas du tout ? 

Sophia Stern : Je m’identifie beaucoup à mon personnage, j’ai vu le film en étant très petite et j’ai toujours aimé le personnage de Solange, peut-être parce qu’elle est plus introvertie. Elle a vraiment un monde intérieur très développé, elle a énormément de fantaisie et j’adore la façon dont elle se développe à travers l’histoire. Je sais que durant mes premières scènes, il faut que je me ferme un peu au public et que je m’ouvre au fur et à mesure

Maïlys Arbaoui-Westphal : Delphine est très différente de Solange, elle a beaucoup d’énergie et elle est vraiment sans filtre ce qui est quelque chose qui ne me ressemble pas vraiment. Elle a une spontanéité qui est rafraîchissante mais aussi très surprenante et qui m’inspire beaucoup. Je la trouve aussi entière et passionnée et ça pour le coup, je m’y reconnais beaucoup plus. Et puis le fait d’être en province, de rêver de la capitale… Tout ce courage et ces rêves qu’elle a dans le cœur, c’est vraiment quelque chose que je partage.


©Julien Benhamou


Dans le film, les deux sœurs ont une relation vraiment fusionnelle. Est-ce que vous vous connaissiez avant ? De quelle manière avez-vous travaillé pour retranscrire ce lien sur scène ? 

Sophia Stern : On a toutes les deux des sœurs et de suite on a senti une connexion assez forte. Chacune complète l’autre. Je referme sa robe… ou Delphine oublie souvent ses affaires donc je dois toujours lui rapporter (rires). 

Maïlys Arbaoui-Westphal : On a été chanceuses parce qu’on n’a pas eu d’essai ensemble ! C’est un cadeau d’avoir une complicité naturelle qu’on continue de découvrir, et de travailler même par des mouvements, des choses qui nous sont proposées justement pour faire ressortir cette sororité-là et la faire parvenir au public. Au-delà de fusionnelles, je les trouve complémentaires, elles s’inspirent entre elles, et c’est quelque chose que j’aime rechercher dans notre travail ensemble. 


Avez-vous revu le film de Demy avant, ou avez-vous préféré ne pas le voir pour livrer une interprétation qui vous soit vraiment propre ?

Maïlys Arbaoui-Westphal : Je le connaissais déjà pratiquement par cœur mais je l’ai re-regardé même avant mon audition parce que c’est un film qui est tellement culte, que pour moi, on doit partir de ça. Je m’en suis imprégnée, mais je sens maintenant qu’au fur et à mesure des répétitions, ma personnalité reprend le dessus. Et puis elles parlent bien, elles ont beaucoup de classe et ça je l’ai vraiment appris en regardant Catherine Deneuve et Françoise Dorléac. 

Sophia Stern : Moi j’ai fait un peu le contraire. Je n’ai pas regardé le film avant l’audition, mais le soir avant la première répétition parce que je voulais d’abord trouver mon personnage de ma propre façon. Mais me replonger dans le monde de Jacques Demy juste avant de commencer ce processus était vraiment pertinent pour voir les enchaînements, le monde, ces couleurs pastel qui apportent quelque chose au personnage. 


Quelle est votre chanson, votre passage ou votre scène préférée ?

Sophia Stern : La chanson des forains, la musique est incroyable. Mais mon vrai moment préféré, c’est le duo « Toujours, jamais » dans le second acte, les mélodies sont formidables et il y a un réalisme d’émotions d’un coup… On voit qu’elles ont vraiment vécu quelque chose déjà, même si elles sont jeunes, il y a une profondeur qui est apparente.

Maïlys Arbaoui-Westphal : Moi j’aime vraiment la synergie de l’ensemble, quand on est tous là. Et puis le final aussi, c’est un moment grandiose où il y a tout à coup une énergie commune et on se sent au centre de ça. 


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« Après tout, ce n’est qu’un conte de fée sur l’amour et l’universalité de l’amour »

C’est l’un des premiers spectacles en français au Lido, et c’est un film culte, pensez-vous que le public peut avoir des exigences plus élevées ? Doit-on s’attendre à une interprétation totale du film ou plutôt une réinvention moderne de cette oeuvre ?

Gilles Rico : En France, le film est tellement connu et emblématique, que forcément, les gens vont avoir des attentes élevées. Mais la règle de Jean-Luc [Jean-Luc Choplin – producteur du spectacle, ndlr] était de ne pas copier le film parce que c’est impossible. On ne peut pas mettre sur la scène d’un théâtre ce qu’on fait au cinéma, donc on a dû recréer Les Demoiselles de Rochefort, recréer des partitions tout en y ajoutant des transitions, des intrigues différentes pour adapter le tout au monde de la comédie musicale. Le Lido est un théâtre très immersif et l’idée était de faire quelque chose de populaire, qui inclut le public et apporte la même joie que le film. Après tout, ce n’est qu’un conte de fée sur l’amour et l’universalité de l’amour. Et c’est très actuel ! Ce qui m’a marqué en lisant le script, c’est à quel point ces femmes sont fortes. On est dans une société patriarcale des années 1960 où le mariage est de mise et où une femme est soit une épouse soit une mère obéissante. Mais ces personnages font ce qu’ils veulent. Elles sont indépendantes, elles font tout pour réaliser leurs rêves. C’est très moderne d’une certaine façon. 


Il y a une colorimétrie très particulière dans le film de Demy. Est-ce un élément que vous avez gardé dans le spectacle ?

Gilles Rico : Oui, parce que les couleurs dans le film sont essentielles, elles ne sont pas un élément décoratif. C’est quelque chose de symbolique, qui montre des émotions, le parcours d’un personnage. Les notes chromatiques évoluent tout le long de l’histoire. Quand on voit du violet, on sait que Solange va arriver, mais quand c’est du jaune, ça va être Delphine. Tout est très structuré, c’est fascinant. Au niveau des costumes, on est restés fidèles à l’esthétique des années 1960 parce que c’est un hommage au film et à cette époque. La modernité est dans les corps, dans la façon dont les gens se comportent, interagissent, dans le rythme. D’une certaine façon, on a accentué la joie et atténué la mélancolie qui est constamment présente dans le film de Demy, pour en faire un objet adapté au théâtre musical. 


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« On veut vraiment que le public ait l’impression de connaître chaque personnage qui est sur scène à la fin du spectacle »

Beaucoup de scènes du film se passent à l’extérieur, comment appréhende-t-on l’espace lorsque l’on adapte une telle histoire à la scène d’une salle de spectacle ?

Gilles Rico : C’est intéressant parce que ça questionne la façon dont on peut transposer un plan tourné à l’extérieur dans un théâtre qui est un espace clos sans soleil. On a essayé de faire ça en utilisant les outils théâtraux et le langage de la comédie musicale. On joue avec les codes, on veut que ce soit humain, que de la sincérité soit transmise quand les artistes sont sur scène. 

Joanna Goodwin : On peut ressentir les personnalités de chacun par la façon dont ils bougent. On veut vraiment que le public ait l’impression de connaître chaque personnage qui est sur scène à la fin du spectacle. Et puis on a été à l’affût du moindre détail en se demandant comment chaque scène pourrait être. On a par exemple ajouté deux numéros de claquettes qui ne sont pas dans le film !


Il y a du jeu, de la danse, du chant… Quels sont les plus gros défis pour vous sur ce spectacle ?

Gilles Rico : Avec Joanna, on s’est énormément préparés. On a très rapidement trouvé un terrain d’entente, un langage commun, la même longueur d’ondes. C’est très précieux parce que nous cherchons à créer un objet unique. Pour cela, il faut collecter les énergies de l’équipe créative mais aussi des artistes et on a la chance d’avoir une troupe exceptionnelle composée de personnes extrêmement dévouées.  

Patrice [Patrice Peyriéras – directeur musical, ndlr] a réalisé un arrangement pour 14 musiciens, entièrement à l’oreille. Il n’existe aucune partition éditée du film donc il a fallu tout recréer. Mais ce qui est génial avec lui, c’est qu’à chaque fois que je dis qu’il n’y a pas assez de musique pour une scène ou qu’une transition serait la bienvenue, il s’éclipse, compose, harmonise, et réarrange les passages. Une heure après, on a une nouvelle partition !


©Julien Benhamou


Selon vous, pourquoi faut-il absolument venir voir
Les Demoiselles de Rochefort au Lido ?

Gilles Rico : Parce que le public va avoir droit à cette joie dont on a tous besoin en ces temps troublés. C’est totalement intergénérationnel, on a essayé de faire un spectacle assez diversifié pour pouvoir intégrer tous les publics. 

Joanna Goodwin : Le divertissement est nécessaire ! Il y a quelque chose pour tout le monde : si vous aimez l’opéra, vous allez adorer ; si vous aimez la comédie musicale, vous allez adorer ; si vous aimez la danse classique, vous allez adorer… 

Maïlys Arbaoui-Westphal : C’est un style de comédie musicale et de musique qui unit tout le monde. Ce spectacle fait du bien au cœur, il est inspirant tant dans la joie qui est transmise que dans les personnalités des personnages. Il y a de la poésie, c’est romantique, parfois un peu mélancolique, c’est une palette d’émotions qui est belle à recevoir. Et puis c’est un tel héritage culturel français, qu’il n’est que bon de le revoir en vrai

Certains propos ont été traduits de l’anglais par Lucie Guerra

Les Demoiselles de Rochefort
Théâtre du Lido
116, avenue des Champs-Élysées — 8e
À partir du 2 octobre 2025
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