Lors de l’édition 2024 du Festival de Cannes, Sergueï Loznitsa a déclaré que L’Invasion, projeté en séance spéciale, était un hommage aux Ukrainiens. En 2022 et 2023, il les a filmés aux quatre coins du pays, pour montrer comment la guerre lancée par la Russie gangrenait leur quotidien.

Le premier mérite de son documentaire – en salle le 8 octobre – est, “loin des images d’actualité et des reportages de guerre”, de montrer “les réalités très contrastées” qui cohabitent aujourd’hui en Ukraine, analyse la Frankfurter Allgemeine Zeitung. D’un côté, “la vie poursuit son cours. Les gens tombent amoureux, vaquent à leurs occupations du jour, chantent, font la fête”. De l’autre, “une guerre, qui sème la destruction, la mort et la pauvreté, fait rage”. Entre ces deux facettes : des larmes, de la colère, beaucoup de douleur.

Les images parlent d’elles-mêmes

Dans L’Invasion, diffusé plus tôt cette année sur la chaîne franco-allemande Arte, il n’y “a ni voix off ni contexte”, ajoute le quotidien de Francfort. Le documentaire, selon lui, “convainc par son observation attentive, faite de plans fixes, souvent longs”. Les vignettes s’enchaînent sans précisions de lieu ni de temps ; Sergueï Loznitsa laisse “parler les images”.

Les scènes filmées en paraissent d’autant plus “authentiques” mais donnent aussi au spectateur le sentiment d’être parfois “un voyeur”, juge le journal allemand.

“C’est une perspective inhabituelle, qui est, pour cette raison, intéressante.”

Mais il est un paradoxe, et non des moindres : L’Invasion, qui montre “toute l’horreur” engendrée par l’attaque russe du 24 février 2022, est l’œuvre d’un cinéaste “ostracisé en Ukraine”, prévient d’emblée la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Né en Biélorussie en 1964, du temps de l’Union soviétique, Sergueï Loznitsa a grandi en Ukraine. Après un cursus scientifique à Kiev, il a étudié le cinéma à Moscou, au célèbre Institut national de la cinématographie. En 2001, il s’est établi à Berlin.

Le goût des zones grises

Depuis 2014, Sergueï Loznitsa a consacré plusieurs longs-métrages aux tensions russo-ukrainiennes. Notamment le documentaire Maïdan (en 2014, sur les manifestations qui ont conduit à la chute du président prorusse Viktor Ianoukovitch) et la fiction Donbass (en 2018, sur l’invasion par la Russie de l’est de l’Ukraine).

En 2021, dans le documentaire Babi Yar. Contexte, il revient sur un épisode de la “Shoah par balles” dont l’Ukraine a été le théâtre en 1941, sans occulter la face sombre du nationalisme ukrainien et sa collaboration avec le nazisme. Mais sa propension à “poser des questions dérangeantes” passe de moins en moins dans l’Ukraine assaillie, relate la Frankfurter Allgemeine Zeitung.

En mars 2022, le réalisateur, qui condamne l’attaque contre son pays tout en dénonçant le boycott systématique de la culture russe (cela est sensible dans la scène de son documentaire où il filme des livres envoyés au pilon), est exclu de l’Académie ukrainienne du cinéma. Celle-ci le juge déloyal à la patrie.

Sergueï Loznitsa parle-t-il aussi de son cas personnel, quand il décrit l’invasion russe comme un “virus” destructeur du tissu social ? En tout cas, qui dit virus dit contagion : l’Ukraine ne serait pas le seul organisme menacé.

Courrier international est partenaire de ce film.