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Exilée en France depuis près de trois décennies, la sociologue et militante Pinar Selek fait face à un nouveau procès en Turquie, malgré quatre acquittements. À quelques jours d’une conférence à Toulouse, son combat pour la justice et les libertés académiques mobilise le monde universitaire.
Imaginez vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête : la crainte de devoir passer le reste de votre existence en prison. Cette angoisse, c’est celle que vit Pinar Selek depuis 27 ans.
Cette universitaire turque de 54 ans, écrivaine, poète, chercheuse et militante féministe, ne peut plus vivre dans son pays d’origine et a dû s’exiler en France.
Déjà acquittée à quatre reprises dans une affaire de terrorisme, elle devra de nouveau comparaître devant la justice turque le 21 octobre. Ce qu’on lui reproche : avoir refusé de livrer les noms de ses enquêtés kurdes, selon Julie Jarty, maîtresse de conférences en sociologie à l’université Toulouse Jean-Jaurès et membre d’Arpège, réseau de recherche sur le genre à Toulouse.
« La Turquie est dans une dérive autoritaire »
Malgré une légère ouverture politique en Turquie et la reprise des négociations avec le PKK, l’accusation de terrorisme qui pèse sur Pinar pourrait enfin être levée. « Mais la Turquie est dans une dérive autoritaire. Il y a des emprisonnements massifs. Même le maire d’Istanbul a été incarcéré. Le harcèlement que subit Pinar depuis 27 ans s’inscrit dans cette logique de répression », dénonce Catherine Barasc, amie de Pinar et membre du comité de soutien toulousain.
L’universitaire est aussi accusée d’être liée à une explosion qui a fait sept morts au bazar aux épices d’Istanbul en juillet 1998. Des accusations graves qui font de la chercheuse, désormais installée à Nice, un symbole de la répression contre les opposants au régime d’Erdogan. Cette affaire soulève aussi la question des libertés académiques.
À l’approche de cette nouvelle audience, Pinar Selek sera à Toulouse vendredi prochain à 10 h 30, pour donner une conférence sur la masculinité normative et les violences politiques, dans le cadre des activités du groupe Arpège. « Tous les ans, nous organisons des « journées de rentrée ». Cette année, nous les consacrons à Pinar Selek, qui fait partie du réseau national et international », commente Julie Jarty.
« Elle est touchée par le soutien du monde universitaire »
« Sa venue nous semblait tout à fait opportune, d’abord en raison de ses travaux sur les masculinités, mais surtout compte tenu du contexte politique : son procès, une nouvelle fois reporté, doit avoir lieu sous peu. »
Plusieurs universitaires seront présents afin notamment de manifester leur soutien. « C’est une chercheuse isolée, bien qu’elle soit soutenue par un collectif solidaire. Voilà près de trente ans qu’elle est privée de la possibilité de rentrer chez elle et de revoir sa famille », souligne Julie Jarty.
« Ce soutien est vital pour elle, ajoute Catherine Barasc. Pour chaque audience, une délégation part à Istanbul. Cette fois-ci encore, ils seront une trentaine : des politiques, des universitaires, des éditrices, des sociologues… »
La conférence, accessible à tous, se tiendra vendredi à partir de 10 heures.
Pinar Selek a été acquittée à quatre reprises (2006, 2008, 2011, 2014), mais la Cour suprême turque a annulé cet acquittement en 2022, la condamnant à la prison à perpétuité et ordonnant un nouveau procès.