Six personnes sont appelées à comparaître mercredi et jeudi devant le tribunal correctionnel de Marseille pour un trafic de prégabaline entre la cité phocéenne et la Grèce. Les pilules étaient en partie directement acheminées par La Poste.
Tout a commencé il y a presque deux ans jour pour jour, le 18 octobre 2023. La nuit est tombée sur l’aéroport de Marseille Provence depuis longtemps déjà. À 23h35, les douaniers de l’aéroport décident de procéder au contrôle des bagages d’une jeune passagère grecque qui vient d’atterrir. Les douaniers avaient vu juste : il s’agit d’une mule. Les agents ne mettent pas la main sur du cannabis, de la cocaïne ou des cigarettes de contrebande, mais sur un petit médicament qui inquiète les autorités. Dans ses valises, la jeune Grecque , Filio S., ne transporte pas moins de 10.920 gélules de prégabaline et de brieka.
Ces médicaments, comme l’écrivent les magistrats dans l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, sont d’abord utilisés pour ces effets analgésiques, anxiolytiques et anticonvulsivants, notamment pour les sujets atteints d’épilepsie. Ces médicaments «sont également utilisés pour traiter des troubles psychiatriques et addictologiques.» Mais cet antiépileptique est détourné depuis plusieurs années comme une drogue pour ses effets euphorisants. Face à l’augmentation des cas d’abus, de dépendance, de mésusage et d’ordonnances falsifiées, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a d’ailleurs restreint en mai 2021 les conditions de prescription de la prégabaline, qui fait désormais l’objet d’une ordonnance sécurisée.
Devant les valises de Filio S., les douanes viennent ainsi de fragiliser le premier maillon d’un vaste trafic international entre la Grèce et Marseille, qui sera examiné devant la justice à partir de ce mercredi, pendant deux jours. Six individus sont appelés à comparaître devant le tribunal correctionnel de Marseille, accusés d’avoir importé et revendu illicitement ce médicament.
Des livraisons par La Poste
À première vue, leurs méthodes s’apparentent à celle des narcotrafiquants de substances plus classiques, avec l’emploi de mules comme Filio S. La jeune femme inconnue des services de police, travaillant comme assistante radiologue en Grèce, a raconté avoir été recrutée dans un café d’Athènes par un Français. Attirée par l’appât du gain et la promesse des 600 euros par livraison, la Grecque a réalisé ainsi plusieurs voyages entre son pays et la France, à Paris comme à Marseille. Les cachets étaient achetés en Grèce, transportés via des mules comme Filio S. en France puis récupérés selon une organisation bien rodée. À son arrivée, la mule était contactée par un numéro caché qui lui donnait des instructions. Puis elle remettait la valise pleine de médicaments, avant de repartir rapidement pour la Grèce. Devant les enquêteurs, Filio S. a reconnu avoir réalisé ainsi une quinzaine de transports en 2023.
Outre l’emploi des mules, les médicaments étaient importés par une voie plus étonnante. En effet, derrière ce trafic se cachent plusieurs intermédiaires, et notamment deux frères d’origine algérienne, les frères A., considérés comme des importateurs et des semi-grossistes. L’un, Khaled A., vit en Grèce et fait encore aujourd’hui l’objet d’un mandat d’arrêt international. Daya Eddine A. habite à Marseille, en situation irrégulière sur le territoire français au moment des faits. Les deux frères sont notamment accusés d’avoir acheminé les médicaments directement par La Poste, dans des colis contenant de nombreuses plaquettes de prégabaline. « Mon client a commencé par faire du petit business au marché aux puces de Marseille, défend Me Bruce Blanc, avocat de Daya Eddine A. La Grèce étant proche de la Turquie, son frère dont la femme est grecque lui renvoyait d’abord dans des colis des téléphones ou des ordinateurs portables que mon client revendait ensuite à Marseille. De fil en aiguille, il a eu l’opportunité de vendre de la prégabaline, pour un revenu mensuel d’environ 1000 euros par mois.»
Les colis étaient directement expédiés chez un ami qui l’hébergeait. «Mais l’attitude de mon client démontre qu’il n’y a pas une réelle volonté d’agir dans la clandestinité mais plutôt qu’il n’avait pas conscience de l’enjeu pénal. Tout était à son nom, à l’adresse de son domicile, de sorte qu’il était facile de remonter jusqu’à lui.» «On n’est pas comme dans le trafic de stupéfiants, estime Me Maximilien Neymon, avocat d’un autre prévenu. Mon client n’est qu’une petite main à qui on a créé une fausse dette pour le forcer à stocker chez lui une partie de la marchandise. Il n’en a tiré aucun enrichissement personnel.»
La prégabaline est surnommée «la drogue du pauvre» en raison de son coût bon marché qui ne dépasse rarement les quelques euros. Pour autant, en important de grosses quantités, à savoir a minima 300.818 gélules, ce trafic dont les prévenus sont accusés aurait généré pas moins de 601.636 euros, à raison de 2 euros le comprimé.