La voilà derrière nous, cette Fashion Week de Paris que d’aucuns annonçaient comme celle de la décennie. Historique, elle l’était à n’en pas douter – aboutissement d’un mercato exceptionnel qui a agité la mode des mois durant, insufflant un vent de fraîcheur sur les grandes maisons, de Chanel à Balenciaga en passant par Dior.
Chacun a répondu présent, dessinant une vision de la mode qui salue le passé avant de s’en affranchir pour imaginer des lendemains qui chantent. Dans un contexte international de crise, dominé par la morosité, la mode a choisi la lumière : un été d’audace, de liberté et de créativité retrouvée. Vivement l’été prochain.
Une promenade avec Matthieu Blazy chez ChanelEt si on partait avec Matthieu Blazy pour une promenade chez Chanel. Une balade « sérieuse », plaisantait-il en backstage. Voici donc une Nouvelle Allure pour Chanel, loin, très loin des clichés à la Paul Morand et pourtant si proche de l’intention de liberté de Coco. Matthieu Blazy a exploré le souvenir de Gabrielle amoureuse, piquant la chemise Charvet de Boy Capel, remarquant l’élégance effilochée du duc de Westminster, s’emparant des premiers tweeds avant que cela ne devienne un gimmick… « Le premier jour, j’ai coupé ma propre veste, et tout d’un coup de nouveaux volumes intéressants sont apparus : c’était une première piste », confie-t-il encore pour commenter les premiers passages, forts de ce dialogue entre masculin et féminin initié par Gabrielle. Mais s’il connaît les mots de Chanel, s’il s’en empare, c’est pour créer un nouveau phrasé, avec sa propre grammaire stylistique, sans s’encombrer des fantômes et des figures imposées. Cette nouvelle incarnation de la modernité se lit autant dans les tenues de jour que dans les robes : la fluidité induit la ligne, la liberté de mouvement irrigue le propos – comme ces jupes fendues faites pour marcher –, la joie de s’habiller est retrouvée : la dernière robe – « surnommée Pina Colada par l’atelier » – avec ses fleurs, le mouvement que lui a donné la top-modèle Awwar sont déjà iconiques.Ghostbuster DiorJonathan Anderson a un certain sens de l’humour et de l’ironie – d’où ce court-métrage d’Adam Curtis, Do you dare enter the house of Dior ?, patchwork d’archives de la maison et d’extraits de films d’horreur. Disons-le, Jonathan Anderson n’a pas peur – et pour affronter les fantômes de Dior, il a une stratégie souriante : les embrasser. D’où une démonstration de force et de puissance, alors qu’il s’empare de l’héritage couture de la maison, joue avec les palimpsestes, déconstruit les volumes pour insuffler une impulsion très mode, tout en proposant aussi de « simples » chemises et jupes. Parmi ses références, il cite son travail déjà iconique sur l’homme chez Dior, retravaillant le pantalon cargo – réinventé à partir d’une robe couture – en jupe. Ces strates d’influences et de codes créent un New Cool chez Dior. Et, lucide sur ce que signifie le merch pour le luxe aujourd’hui, il conçoit sacs et chaussures suscitant un désir immédiat. Au centre de la scène imaginée par Luca Guadagnino et Stefano Baisi trônait une boîte Dior vide : ce qui en sort ? Jonathan Anderson, pensant out of the box. Et, à en juger par l’enthousiasme, elle ne le restera pas longtemps. Qui a peur de Jonathan Anderson ?Saint Laurent ou la noblesse du désirQui se souvient de Diane de Beauvau-Craon ? Probablement Anthony Vaccarello, qui sait qui était cette princesse d’une ancienne famille de Lorraine, petite-fille du magnat de l’acier Patiño, fascinant la scène new-yorkaise en général et Mapplethorpe en particulier. Elle illumina le Palace, fut un temps fiancée à Jacques de Bascher, l’obsession d’Yves Saint Laurent : une vie peu ordinaire et une icône de la scène cuir gay, restée fidèle à son héritage aristocratique. Elle aurait adoré ces blousons de cuir dans ce jardin si chic, si sensuel, d’hortensias blancs et de fougères cachées : un labyrinthe du désir, entre jardin à la française et lieu de drague plus brut, dessinant une Cassandre blanche. La princesse – ou, comme le programme le précisait, une descendante de la duchesse de Guermantes, mais en moins guindée – aurait troqué le BDSM pour de grandes robes et manteaux du soir, issus des archives couture et réinterprétés en étoffes fluides et techniques, jouant de la transparence et de l’ambiguïté des textures. Tandis que les fragrances parfumaient l’air, elle se serait élancée vers ses amants. Aristocratique et libre, méprisant le « qu’en-dira-t-on », quintessence d’une bourgeoisie ennuyeuse. Très Diane de Beauvau-Craon. Très Saint Laurent.Balenciaga : Blame it on the (new) gazarPierpaolo Piccioli connaît bien Balenciaga – il sait aussi qu’il a sa propre sensibilité –, « c’est pourquoi je suis là : pour donner ma vision de la maison ». Voici donc ses propres mots sur la grammaire de Cristóbal : sa réinvention de la robe-sac, ses jeans très couture, sa connaissance de la fascination de Cristóbal pour Zurbarán – nous avons parlé du livre de Florence Delay à ce sujet et j’ai promis de le lui envoyer – et sa réintroduction de la couleur, son usage de nouveaux tissus, notamment le fameux gazar, quintessence du tissu de couture, créé par Cristóbal : il a décidé de l’utiliser à nouveau mais en l’allégeant. « On peut toujours sculpter les robes, mais on se meut différemment. » Et voilà : la façon dont les mannequins se déplaçaient, dans une Olympe de chic sophistiqué, civilisé, élégant. Suprêmement Balenciaga.Hermès à toute allure
Bien sûr, l’esprit équestre de la collection de Nadège Vanhée chez Hermès est en phase avec la maison. Bien sûr, elle sait travailler le cuir et jouer avec les attributs esthétiques de l’équitation. Pourtant, dans cette course d’obstacles stylistique, elle choisit de courir à son propre rythme, plus librement – comme avec ces harnais de cuir jouant avec le carré de soie. Et puis, voici la somptueuse allure d’un top noir, d’une robe noire, d’une ceinture noire et de bottes noires ; et puis, voici la liberté d’un porté de sac, balancé au-dessus de l’épaule… La simplicité sophistiquée n’est pas un oxymore facile à atteindre. Mais lorsqu’elle est maîtrisée à ce point, c’est l’épure du style.
Celine et le lever du soleil
En 1670, Monsieur, frère de Louis XIV, commanda à Nocret une peinture gigantesque pour son palais de Saint-Cloud : la famille royale en dieux et déesses de l’Olympe, le prince étant représenté en Point du Jour, annonçant le lever du soleil, c’est-à-dire le Roi en Apollon. Le palais a disparu dans un grand incendie en 1870, mais le portrait familial subsiste – et se trouve désormais à Versailles. Une anecdote qui fait écho au défilé Celine, présenté dans les jardins de Saint-Cloud : bien sûr, ni Michael Rider ni sa collection ne sont une manière de « Monsieur réinventé ». Mais il y a comme une trajectoire similaire, de l’aube – son premier opus en juillet – à cette collection d’été, comme un lever de soleil : l’usage des couleurs illuminant la silhouette par touches, la coupe d’une veste, la fluidité des pantalons, la facilité et le cool que le designer insuffle à cette allure très parisienne – tout cela crée de la cohérence, un mot qu’il affectionne. Et Monsieur, qui possédait l’une des plus fabuleuses collections de bijoux, aurait adoré les accessoires – des charms aux carrés, des sacs au cahier d’alligator. Mais le parallèle s’arrête là, car Monsieur était un paon de la mode, et ceux qui porteront cette collection – hommes comme femmes – échapperont à cet écueil.
Louis Vuitton ou l’habit de cour
Le luxe peut-il être cosy ? Oui, lorsqu’il s’installe dans les appartements d’été d’Anne d’Autriche, reine de France et mère de Louis XIV, au Louvre – acmé de l’architecture française imaginée par Le Vau. Oui, quand l’incroyable enfilade de pièces est repensée comme un appartement contemporain par Nicolas Ghesquière, qui, pour son défilé Vuitton, ravive la tradition des « Ensembliers », ces décorateurs qui, il y a un siècle, redéfinirent le goût français et façonnèrent les Arts déco. Voici des meubles mêlant styles et époques, des sculptures de Giambologna sublimant une atmosphère à la fois royale et intime. Soudain, le travail de Ghesquière évolue dans son habitat naturel : la sophistication des volumes, la stratification des références, la technicité des vêtements, la force des choix – tout devient murmure de luxe, élaboré et doux, tendre et intime. Une collection où, cette fois, le jour était central. Pour paraphraser Racine : « des jours plus beaux que vos nuits ».
Rabanne ailéDepuis l’enfance, la façon dont Homère décrit Achille aux pieds légers – πόδας ὠκὺς Ἀχιλλεύς – m’a toujours fasciné. Cela m’est revenu quand le premier mannequin masculin est apparu au défilé Rabanne. Ses sandales étaient ailées, lui conférant l’attribut esthétique d’Hermès. Pourtant, sa démarche et son allure évoquaient davantage Achille. Sans doute parce qu’il y avait une nouvelle légèreté dans l’ensemble de la collection.Schiaparelli et ses cygnesOn ne saura jamais qui sont vraiment les VIC de Schiaparelli, même si on peut les observer au défilé, heureux de se retrouver, se jaugeant tout en se réjouissant d’appartenir à un club exclusif de clientes couture. Alors, comment leur proposer du prêt-à-porter ? Daniel Roseberry y réfléchit depuis plusieurs saisons, et sa réponse pour l’été prochain est une proposition très élaborée de tailleurs et de robes du soir pour de Nouveaux Cygnes – bien sûr, Babe Paley n’est plus là, bien sûr, cela n’a rien à voir avec sa garde-robe, mais quelque chose de son allure, de sa façon de se mouvoir se retrouve. Avec peut-être une touche de glamour plus sexy – quelque chose de Dietrich dans les robes du soir. Du chic épicé.Lacoste : le cas d’écolePelagia Kolopoulos a le sens du spectacle – et il lui suffit de peu. Un lieu : le hall Eiffel du lycée Carnot, préféré cette saison à la terre battue de Roland-Garros. Un décor brut dont les balcons et escaliers servaient de scène aux mannequins qui en descendaient avec assurance. Un premier rang trié sur le volet : Damso, Adrien Brody, Adèle Exarchopoulos, Pierre Niney ou encore la star Netflix Gavin Casalegno. Pelagia Kolopoulos a le sens du spectacle, certes, mais elle parle aussi la mode contemporaine – 20/20 en Lacoste LV1. Sa collection, forcément sport-chic, concentre l’esprit de la saison : transparence, rigueur tailleur, intensité chromatique, souplesse du cuir. Jamais conceptuelle, elle imagine un vestiaire du quotidien, capable de passer du court de tennis à la vie quotidienne. Une approche du mouvement que René lui-même n’aurait pas reniée.Maison Margiela : néo-symphonieSoixante et un enfants de sept à quinze ans, réunis par l’association Orchestre à l’École, ont transformé le podium en salle de concert, entonnant les grands classiques de Strauss, Mozart, Beethoven et Tchaïkovski en guise de bande-son du premier défilé Maison Margiela signé Glenn Martens. Une ouverture littérale et symbolique pour ce nouveau chapitre de la Maison, où le créateur belge proposait une série de concepts et d’évolutions d’archives pour un vestiaire pensé “pour la vraie vie”. Denim travaillé façon bespoke, imprimés floraux en papier gaufré sur maille, robes de soie plastifiées, talons cachés et Tabi à plexi : autant de clins d’œil à l’héritage Margiela. Un premier mouvement tout en nuances, entre rigueur orchestrée et dissonances maîtrisées.Carven : Cut me if you canParfois, une pièce de vêtement relève de l’évidence. Une manière de dire : « je suis là. Et je suis là pour vous. » C’était vrai pour des pièces en apparence simples mais en réalité audacieuses : la robe blanche de Mark Howard Thomas chez Carven – la coupe, les détails, le modelé, l’élégance des bretelles qui rappelaient Sargent ; la chemise blanche en cuir de Sarah Burton et ses jeans incroyables – l’allure et les matières. Cela n’a rien à voir avec le minimalisme. C’est incroyablement sophistiqué – rien n’est plus complexe à atteindre que la pureté.Gabriela Hearst et le fil du destinSurprise chez Gabriela Hearst : l’actrice américaine Laura Dern, connue pour ses rôles dans Jurassic Park et Big Little Lies, ouvrait le défilé de sa compatriote, tout sourire, dans une robe ivoire baptisée L’Impératrice, réalisée à partir de 2 500 fleurs en cuir découpées dans des chutes. Une pièce manifeste d’une collection circulaire – 97 % des tissus proviennent de deadstock. Inspirée des arcanes majeurs du tarot, la créatrice poursuit son exploration du mysticisme. Le Soleil, en lin recyclé recouvert d’aluminium doré, irradiait sur le podium ; Le Magicien, aux manches rayées crochetées à la main en Bolivie, incarnait la maîtrise et le geste ; Le Pendu, en robe-colonne noire de cuir et cachemire, fermait le défilé. Une collection dense et maîtrisée, où la symbolique du tarot s’ancre dans la matière.Zomer et les pas de couleurÀ l’Institut de recherche du Centre Pompidou, les mannequins du défilé Zomer – l’été en néerlandais – ont plongé leurs pieds dans une immense palette de peinture avant de fouler la toile blanche du catwalk, imprimant sur le sol la carte chromatique de la saison. Un geste manifeste, joyeux, presque enfantin, à l’image d’une collection qui osait le mélange des genres, l’extrapolation des formes et la liberté du mouvement.Alain Paul et la danse du tailleurRévélation de l’ANDAM et du Prix LVMH, Alain Paul présentait sa collection estivale comme une audition de danse. Les silhouettes défilaient sous le regard attentif d’une centaine d’invités transformés en jury, calepin et crayon à la main. Chaque passage testait la précision du mouvement et la justesse des coupes, dans un équilibre subtil entre esprit ballet et tailoring sensuel. 10/10 pour la maîtrise et l’originalité.Et aussi…colette et Virgil Abloh : la flamme retrouvée
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Le Kangourou du jour
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Une madeleine de Proust pour tous les créatifs et passionnés de mode. Au Grand Palais, les effluves de figuier nous ont aussitôt transportés dans les grandes heures de colette, qui en avait fait sa signature olfactive. Le concept store parisien culte renaît le temps d’une exposition-événement réunissant quelque 2 000 pièces retraçant le génie créatif de Virgil Abloh. Au cœur de ce revival, la bougie aux deux ronds bleus, symbole discret mais puissant, rallume l’esprit de colette et recrée les files d’attente fébriles, comme autrefois devant le magasin culte de la rue Saint-Honoré.Zara 50 : l’anniversaire collectorDifficile de ne pas céder à la tentation. Pour célébrer ses cinquante ans, Zara a convié cinquante personnalités de la mode, de l’art et du design à imaginer des pièces exclusives, vendues uniquement du 2 au 5 octobre dans un pop-up du très chic triangle d’or. Ici, un set de voyage pour artiste signé Norman Foster ; là, un service de table tacheté imaginé par Sterling Ruby ; plus loin, un canapé à poil blanc dessiné par Rosalía. Cinquante objets pour un anniversaire qui se collectionne déjà.
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