Pascal Fouché présentera ce jeudi 9 octobre à 19 heures à l’Hôtel littéraire Le Swann à Paris les deux recueils de correspondances parus hier et aujourd’hui ainsi qu’une sélection de manuscrits autographes de lettres inédites. Livres Hebdo l’a rencontré.

 

Livres Hebdo : Les deux correspondances dont vous venez d’établir l’édition mettent en exergue un parallélisme qui en dit long sur le fait que nul n’avait mesuré l’immensité de l’œuvre du génie qu’est Marcel Proust… Chez Grasset, on a longtemps prétendu avoir décelé le grand écrivain, quoiqu’on n’ait pas vraiment lu ce premier volume d’À la recherche du temps perdu avant de l’accepter. Du côté de Gallimard qui, au départ, n’en avait pas voulu, on disait n’avoir pas ouvert le manuscrit alors qu’on y avait quand même largement jeté un œil. 

Pascal Fouché : On connaît les mots de Gide qui, se rangeant à l’avis de ses camarades de La Nouvelle Revue française (La NRF), n’avait pas voulu du Temps perdu, le titre initial de Du côté de chez Swann : « Le refus de ce livre restera la plus grave erreur de La NRF, et (car j’ai cette honte d’en être beaucoup responsable) l’un des regrets, des remords des plus cuisants de ma vie. » À la décharge de Gallimard, la maison d’édition n’avait qu’à peine un an et demi d’existence et trente titres à son catalogue. L’écriture de Proust ne s’inscrivait pas dans la ligne de celle-ci, qui publiait essentiellement les proches de la revue, un club assez fermé. C’était en plus un paquet de feuilles dactylographiées amplement corrigées à la main…

Pour Grasset, le cas est particulier. Proust, même s’il avait essuyé des refus, n’était pas un inconnu : il signait dans les colonnes du Figaro, il avait déjà publié Les plaisirs et les jours chez Calmann-Lévy, préfacé par Anatole France. Et surtout, il a tout de suite dit à Bernard Grasset : « Je veux payer l’édition ! » Du fait que Proust prenne à son compte la fabrication, la correction, la publicité… Quelle raison Grasset aurait-il eu de ne pas le publier ? Il avait, dit-il, feuilleté le manuscrit mais il n’a pas eu besoin de le lire pour prendre sa décision. Constatant que cela n’existait pas, j’ai eu l’idée de reprendre l’ensemble des correspondances concernant l’édition de Proust chez Grasset, enrichies des lettres à l’imprimeur, pour retracer leur relation, qui s’avère passionnante et permet d’en préciser bien des aspects.

Les correspondances de Proust ont déjà paru, vous aviez d’ailleurs publié en 1989 un premier volume de lettres entre Marcel et Gaston Gallimard : qu’apportent ces Lettres retrouvées 1912-1922 ?

Jusqu’aux années 1980 on avait surtout l’habitude de publier des lettres d’auteurs. Il existait des correspondances de Gide ou de Valéry, d’auteurs entre eux, mais les éditeurs entretenaient encore une espèce de secret de l’édition, ne voulant dévoiler d’aucune manière les tenants et aboutissants d’une publication avec les pourcentages de droits, les devis, etc. Soixante ans après la mort de Proust, il me semblait qu’il était temps de publier le dossier complet et donc la correspondance croisée entre Proust et Gaston Gallimard retraçant l’histoire de la publication de La Recherche. Il a fallu plusieurs années pour en convaincre Claude Gallimard [fils du fondateur Gaston Gallimard, qui dirigeait alors l’entreprise familiale] mais, grâce à lui, j’ai pu bénéficier des archives de Gallimard et de ce que possédaient à l’époque les ayants droit de l’écrivain.

« Il n’existait pas réellement de services d’archives dans les maisons d’édition, sauf chez Gallimard. C’est une des raisons de la création de l’IMEC »

En 1989, j’ai publié tout ce qu’on avait retrouvé, ce qui a permis à Philip Kolb, qui publiait la Correspondance de Marcel Proust chez Plon, de reprendre les lettres dans son édition. Depuis j’ai continué à chercher dans les salles de ventes, dans les collections publiques ou privées et dans les publications proustiennes, des lettres que nous n’avions pas à l’époque. C’est ainsi que j’ai proposé aux éditions Gallimard de faire un complément à l’édition de 1989. J’ai également eu la chance, au début de l’année, de prendre connaissance du fonds que Bernard de Fallois a rendu aux ayants droit de Proust et dont la BnF est en train de finaliser l’acquisition. Il s’y trouve deux précieux dossiers : l’un concernant Gallimard et l’autre Grasset, qui m’ont permis d’enrichir mon travail d’édition des deux correspondances. J’ai pu reprendre certaines lettres dans leur version définitive, dont je n’avais eu que la copie dactylographiée  qu’avait conservée Gaston Gallimard sans la partie manuscrite qu’il ajoutait parfois. L’ensemble représente finalement un complément substantiel à ce qui avait paru en 1989.

Publier Proust n’était-il pas un cauchemar pour les imprimeurs étant donné qu’il se corrigeait sans cesse ? L’arrivée de la monotype a facilité la republication des volumes…

Proust était en effet un écrivain extrêmement pointilleux, multipliant les jeux d’épreuves. Jusqu’à la publication d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs, on composait à la main, lettre à lettre. L’arrivée de la monotype, qui fond les caractères au fur et à mesure, a révolutionné l’imprimerie et a heureusement accompagné les impressions et réimpressions des volumes suivants d’À la recherche du temps perdu.

Si l’imprimerie a aujourd’hui beaucoup évolué, la concurrence entre les maisons d’édition ne date pas d’hier. Proust, et notamment son prix Goncourt, le premier, ont été l’objet d’une bataille assez féroce. En cette saison de prix littéraires, racontez-nous cette anecdote…

Quand Albin Michel, qui avait souscrit pour 750 F de publicité pour douze pages à paraître mensuellement dans La NRF, n’obtint pas le prix Goncourt pour Les croix de bois de Roland Dorgelès, il fait une publicité et met sur le livre une bande qui toutes deux indiquent « Prix Goncourt » avec en dessous en plus petits caractères « 4 voix sur 10 ». Gallimard, qui est l’éditeur du Goncourt À l’ombre des jeunes filles en fleurs, fait un procès et le gagne.

Aujourd’hui l’édition est plus sensible aux sources matérielles d’une œuvre textuelle, qu’elles soient constituées de lettres ou d’autres manuscrits génétiques. De ce point de vue, votre travail a été pionnier. Récemment, on vous doit l’édition de l’inédit de Louis-Ferdinand Céline, Guerre (Gallimard, 2022)…

J’avais déjà travaillé dans les années 1980 sur les manuscrits de Céline pour un volume de la Pléiade et édité ses Lettres à la N.R.F. (Gallimard, 1991), c’est pourquoi j’ai accepté de transcrire le manuscrit de Guerre. J’ai publié un livre sur L’édition française sous l’Occupation (BLCF, 1987), alors que quasiment aucun éditeur ne m’avait ouvert ses archives, à part Gallimard et Flammarion. En fait, il n’existait pas réellement de services d’archives dans les maisons d’édition, sauf chez Gallimard. C’est une des raisons de la création de l’IMEC. Avec les cofondateurs aujourd’hui disparus Olivier Corpet, spécialiste de l’histoire des revues, et Jean-Pierre Dauphin, archiviste et éditeur chez Gallimard, nous avons voulu rendre accessibles les archives des éditeurs du XXe siècle, les mettre à disposition des chercheurs et les valoriser, notamment par des expositions. 

Pascal Fouché, que nous réservez-vous prochainement ?

Je travaille notamment sur une nouvelle édition de L’édition française sous l’Occupation, qui bénéficiera d’archives ouvertes depuis sa publication en 1987, mais nous préparons également, avec Pascale Froment, l’édition du troisième volume du Journal de l’avocat Maurice Garçon. J’ai encore un projet sur Céline mais il est prématuré d’en faire état…

Biographie et bibliographie de Pascal Fouché

Pascal Fouché, historien et spécialiste de l’édition, a collaboré au tome 4 de l’Histoire de l’édition française (Promodis, 1986). Docteur en Histoire, il a soutenu une thèse sur l’Édition entre les deux guerres mondiales. Il a publié des monographies d’éditeurs (Au Sans Pareil, La Sirène, BLFC 1983 et 1984), un ouvrage sur L’Édition française sous l’Occupation 1940-1944 (BLFC, 1987) et il est l’éditeur des correspondances de Proust et Céline avec les Éditions Gallimard (Gallimard, 1989 et 1991). Il a dirigé L’Édition française depuis 1945 (Éditions du Cercle de la Librairie, 1998) et est l’un des directeurs du Dictionnaire encyclopédique du Livre (Éditions du Cercle de la Librairie, tome 1, 2002 ; tome 2, 2005 ; tome 3, 2011). Il a créé le site www.editionfrancaise.com (chronologie de l’édition de 1900 à nos jours). Il a dirigé, avec Alban Cerisier, Gallimard 1911-2011 : un siècle d’édition, (Bibliothèque nationale de France / Gallimard, 2011) dans le cadre de l’exposition réalisée pour le centenaire des Éditions Gallimard. Il a publié, avec la collaboration d’Alban Cerisier, Flammarion 1875-2015. 140 ans d’édition et de librairie (Gallimard-Flammarion, 2015 ; réédition augmentée sous le titre Flammarion. 150 ans d’édition et de librairie, Flammarion, 2025). Il a publié Le Cercle de la Librairie et ses présidents (Éditions du Cercle de la Librairie, 2024).

Il est l’auteur, avec Jean-Pierre Dauphin, de la Bibliographie des écrits de Louis-Ferdinand Céline (BLFC, 1985. Version internet : www.biblioceline.fr, 2003) et, avec Albert Dichy, de Jean Genet. Essai de chronologie 1910-1944 (BLFC, 1989), qui a fait l’objet d’une réédition pour le centenaire de la naissance de l’écrivain sous le titre Jean Genet matricule 192.102 (Gallimard, 2010). Il a publié Céline. « Ça a débuté comme ça », Gallimard, 2001 (collection « Découvertes ») a édité Guerre de Céline (Gallimard, 2022), participé à la nouvelle édition des romans de Céline dans la « Bibliothèque de la Pléiade » (Gallimard, 2023) et publié Mort à crédit. Le manuscrit retrouvé (Gallimard, 2023).

Collectionneur de flip books, auxquels il a consacré un site internet : www.flipbook.info, il a écrit sur ce petit livre méconnu : Flip book. Le livre fait son cinéma (Éditions de La Martinière, 2021).

En 2025, outre Flammarion, 150 ans d’édition et de librairie en collaboration avec Alban Cerisier, il publie Marcel Proust-Bernard Grasset, Correspondance précédée de Proust chez Grasset, une aventure éditoriale, édition établie, présentée et annotée par Pascal Fouché chez Grasset et Marcel Proust- Gaston Gallimard, Lettres retrouvées 1912-1922, édition établie, présentée et annotée par Pascal Fouché chez Gallimard.

Il est l’un des fondateurs de l’IMEC (Institut Mémoires de l’Édition contemporaine) dont il est secrétaire du conseil d’administration. Il a été directeur de publication du Bulletin du Bibliophile et, à ce titre, secrétaire général du Syndicat de la presse culturelle et scientifique. Il a travaillé aux Éditions Gallimard de 1979 à 1986 puis a été directeur du service éditorial des Éditions du Cercle de la Librairie de 1987 à 1994, directeur du développement d’Electre de 1995 à 2003 et enfin directeur des Éditions du Cercle de la Librairie et Directeur général adjoint d’Electre de 2003 à 2018. Il est Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.

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