“Angela Merkel s’abstient généralement de commenter l’actualité internationale”, rappelle Der Spiegel. Mais la récente visite en Hongrie de l’ancienne chancelière allemande, dans le cadre de la sortie de la traduction hongroise de sa biographie, fait figure d’exception.
Dans une vidéo mise en ligne le 3 octobre par le portail hongrois Partizan, elle confie que dès juin 2021, face à l’impasse des discussions menées individuellement par les États de l’Union européenne avec Vladimir Poutine, elle voulu développer “un autre format” de négociations, “en partenariat avec Emmanuel Macron”.
“L’Union européenne devait négocier directement avec Poutine”, a déclaré l’ancienne chancelière allemande. Sans développer de scénarios fictifs sur ce qui aurait éventuellement pu être évité, elle rappelle que son projet “n’a pas été soutenu par certains”. Les États baltes et la Pologne y étaient ainsi opposés, “car ils craignaient qu’on ne puisse développer de politique commune contre la Russie”. Faute d’accord, la proposition a fini par être abandonnée.
Suite à la mise en ligne de son entretien, la déclaration d’Angela Merkel a rapidement fait le tour du continent européen, suscitant de vives réactions, médiatiques et politiques, allant de l’incompréhension à l’indignation.
Une critique quasi unanime
Cité par la chaîne de télévision Mitteldeutscher Rundfunk, Michael Roth, ancien membre du Parti social-démocrate (SPD), ministre fédéral aux Affaires étrangères de 2013 à 2021, tient à nuancer les propos de l’ancienne chancelière. Il estime en effet que “les États baltes et les Polonais étaient convaincus depuis longtemps de l’imminence d’une invasion russe de l’Ukraine – tandis qu’en Allemagne, on discutait encore de la question de savoir si le renforcement des troupes russes devait vraiment être pris au sérieux”.
Le média régional rapporte également les propos de Stefan Meister, du groupe de réflexion Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (Société allemande pour la politique étrangère). Celui-ci considère la posture accusatrice de Merkel critiquable, au vu des relations qu’elle entretenait avec la Russie lorsqu’elle occupait encore la chancellerie. En ne libérant pas l’Allemagne de sa dépendance envers les ressources énergiques russes, l’ancienne chancelière aurait “donné à Poutine le sentiment qu’il pouvait attaquer sans que rien ne se passe”.
Outre-Rhin, les critiques vont bon train : avec ses propos dénués de “toute autocritique”, “Angela Merkel a détruit sa propre image”, cingle Moritz Koch dans une tribune publiée le 8 octobre dans le quotidien économique Handelsblatt.
Des réactions dépassant les frontières
En Pologne aussi, les propos d’Angela Merkel ont été abondamment relayés par les grands médias du pays et ont “suscité l’indignation sur les réseaux sociaux”, comme le souligne le populaire site d’information en ligne Onet, qui ajoute qu’“une partie des médias et des commentateurs en ont conclu que l’ex-chancelière accusait la Pologne et les pays Baltes d’être responsables du déclenchement de la guerre en Ukraine”.
L’ancien Premier ministre conservateur de Droit et Justice (PiS), Mateusz Morawiecki, a, lui, vivement réagi sur le réseau social X : “Angela Merkel a prouvé, par son interview irréfléchie, qu’elle comptait parmi les politiciens allemands les plus nuisibles à l’Europe au cours du siècle dernier.” Sur le plateau de la télévision Polsat, la ministre des Fonds et de la Politique des régions, la centriste Katarzyna Pelczynska-Nalecz, a également estimé que ces propos jouaient “le jeu de la propagande russe”.
Le quotidien conservateur Rzeczpospolita relève quant à lui que Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, est tombé d’accord avec la politicienne allemande, en commentant l’affaire en ces mots : “Bruxelles est otage de la politique agressive que les pays Baltes et la Pologne mènent contre la Russie.”
Plus mesuré, le portail de fact-checking polonais Demagog réagit à la présentation sensationnaliste du quotidien allemand populiste Bild, qui est allé jusqu’à titrer “Merkel accuse la Pologne d’être responsable de la guerre de Poutine”. Demagog rappelle de son côté que la septuagénaire “n’a rien dit sur la responsabilité de la Pologne dans l’agression russe – il s’agit simplement d’une interprétation de ses propos”.